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[Chapitre 1] Au fil des années...
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[Chapitre 1] Au fil des années...
- Spoiler:
- Pour ceux que ça intéresse, je vous propose une photo de chaque personnage présent dans ce rp, histoire que vous visualisiez mieux la scène et la tête des persos (Tous sont des Vatars, mais je n'ai pas fait de tatouages, la flemme ><) :
Face au soleil, une svelte silhouette se dessinait, accroupie sur une barrière en métal rouillé. Elle regardait droit devant elle, vers ce ciel qui n’en finissait pas, inondé d’un éclat fiévreux. Le Voile se détachait délicatement de cet ensemble bleu et parfait, formant une couche de nuages blanche et poudreuse.
Cette silhouette était celle d’une femme, à en juger par les formes harmonieuse de son corps. Cette femme s’appelait Senyara. Ceux qui la côtoyaient avaient l’habitude de la surnommer Sen.
Les yeux clos, les jambes courbées sur la rambarde, les mains enserrées sur le barreau en fer, elle était aussi immobile qu’une statue. Le vent faible et doux qui soufflait sur le district de Ni mong jouait dans ses cheveux fins et noirs, coupés aux épaules en dégradé plongeant. Une frange tombait sur son front et chatouillait le bout de ses longs cils. Ses traits étaient gracieux et strictes à la fois, comme si ils étaient gravés dans du marbre. Sa peau matte était parcourue de symboles étranges et de signes singuliers. Ils arpentaient son bras gauche, encerclaient son cou lisse et caressait le côté gauche de son visage pour se perdre dans ses cheveux.
Cette femme était une Vatar depuis plusieurs mois, bientôt un an. Elle avait toujours rêvé de faire partie de ces personnages mystérieux et imposants, non par leur carrure mais par l’aura étrange qui émanaient d’eux. Sen avait toujours été effrayé lorsqu’elle avait l’occasion, petite, d’en croiser un, mais sa peur se transformait toujours en admiration. En effroyable admiration.
Accroupie sur la rambarde, elle se remémorait l’enfance insolite qu’elle avait eue.
Très jeune, elle avait perdu ses parents sans même les connaitre, puis avait été recueillie par une noble et généreuse famille vatarane qui l’éleva comme leur véritable fille. Ils la nourrirent, l’éduquèrent et l’aimèrent comme une famille le ferait avec son enfant. Et ce jusqu’à ses dix ans, où elle entra à l’école. Ce fut sa première rencontre avec un Vatar. Ce jour-là, elle arpentait les couloirs de l’école, les bras chargés de parchemins et de livres, lorsqu’elle entendit une voix, derrière une porte entrouverte. Elle reconnut immédiatement la voix d’un de ses professeurs. Le plus discrètement possible, elle passa son œil par l’entrebâillement et étouffa un cri. Un homme, grand et athlétique, était adossé au bureau de la salle de classe, et discutait avec le professeur qui tournait le dos à Sen. Ses cheveux noirs et courts étaient plaqués en arrière. Plusieurs mèches blanches pendaient sur son front. Les traits de son visage étaient durs et sévères, et sa bouche toujours étirée en un sourire narquois. Ses yeux, d’un gris métallique, s’accordaient étrangement avec les signes qui parcouraient sa peau blanche, sur une moitié de son visage. Le reste de son corps emmitouflé sous maintes couches de vêtements en cachaient surement d’autres…Sen, derrière la porte, ne put détourner le regard de ces marques argentées, qui luisaient mystérieusement sous la lumière tamisée de la pièce. On aurait dit qu’elles se mouvaient sur sa peau.
-…passerai demain dans ce cas, préparez vos élèves à mon arrivée. Je ne tolérerai aucune impolitesse.
- Mais bien sur Jirok, ce sera un honneur.
- Il me faut partir, j’ai une affaire. Des Netras ont été repérés à l’ouest du district, et tout ces fichus Vatars incompétents les ont laissés filés. Nous nous verrons donc demain.
L’homme aux tatouages argentés se leva et, derrière la porte, Sen sursauta et laissa tomber ses livres et ses parchemins. Les deux hommes ouvrirent la porte si brusquement que Sen recula, à terre, effrayée.
- Mais mais…que fais-tu là jeune fille, à cette heure-ci ? Il va bientôt faire nuit ! s’indigna le professeur, un homme d’une quarantaine d’année, caché derrière ses énormes lunettes aux montures épaisses.
Il l’aida à se relever ou plutôt la souleva par l’épaule comme si elle avait été faite de plumes.
- J’attends une réponse !
Sen tremblait, et les larmes menaçaient de surgir à tout moment. Mais devant cet homme aux tatouages…elle n’y parvenait pas. Elle était comme pétrifiée par cet être inquiétant et étranger.
- Qui est-ce ? demanda-t-il alors au professeur.
- C’est une élève. Une véritable tête en l’air qui traine toujours dans les couloirs et qui aime espionner !
- Allons allons…Comment t’appelles-tu gamine ?
Sen leva les yeux vers l’inconnu, toujours tremblante. Pour ne plus parvenir à détourner le regard.
- Je…je m’appelle Sen monsieur. Senyara.
- Quel âge as-tu ?
- J’ai 10 ans.
- Hum…et que faisais-tu là, à nous espionner ?
- Je…je ne vous espionnais pas monsieur ! Je…j’étais en retard, et j’ai entendu des voix et…
- Suffit ! Tu vas gentiment regagner ta maison maintenant petite sotte, file !
Sen baissa la tête et s’inclina légèrement, avant de s’enfuir à toutes jambes et disparaitre de la vue des deux hommes. Sans se rendre compte qu’elle avait oublié l’un de ses parchemins sur le sol. Jirok se baissa et le ramassa.
- Puis-je garder ceci ? Je lui rendrai demain.
- Comme vous voulez. Mais cela m’étonnerait que vous trouviez quelque chose d’intelligent là-dedans…
- J’en jugerai moi-même si vous le voulez bien. N’oubliez pas de prévenir vos élèves pour demain.
Sur ces dernières paroles, il s’éloigna après un bref salut et disparut à son tour du couloir. Le professeur, quant à lui, revint dans sa classe et ferma la porte à clé.
Cette silhouette était celle d’une femme, à en juger par les formes harmonieuse de son corps. Cette femme s’appelait Senyara. Ceux qui la côtoyaient avaient l’habitude de la surnommer Sen.
Les yeux clos, les jambes courbées sur la rambarde, les mains enserrées sur le barreau en fer, elle était aussi immobile qu’une statue. Le vent faible et doux qui soufflait sur le district de Ni mong jouait dans ses cheveux fins et noirs, coupés aux épaules en dégradé plongeant. Une frange tombait sur son front et chatouillait le bout de ses longs cils. Ses traits étaient gracieux et strictes à la fois, comme si ils étaient gravés dans du marbre. Sa peau matte était parcourue de symboles étranges et de signes singuliers. Ils arpentaient son bras gauche, encerclaient son cou lisse et caressait le côté gauche de son visage pour se perdre dans ses cheveux.
Cette femme était une Vatar depuis plusieurs mois, bientôt un an. Elle avait toujours rêvé de faire partie de ces personnages mystérieux et imposants, non par leur carrure mais par l’aura étrange qui émanaient d’eux. Sen avait toujours été effrayé lorsqu’elle avait l’occasion, petite, d’en croiser un, mais sa peur se transformait toujours en admiration. En effroyable admiration.
Accroupie sur la rambarde, elle se remémorait l’enfance insolite qu’elle avait eue.
Très jeune, elle avait perdu ses parents sans même les connaitre, puis avait été recueillie par une noble et généreuse famille vatarane qui l’éleva comme leur véritable fille. Ils la nourrirent, l’éduquèrent et l’aimèrent comme une famille le ferait avec son enfant. Et ce jusqu’à ses dix ans, où elle entra à l’école. Ce fut sa première rencontre avec un Vatar. Ce jour-là, elle arpentait les couloirs de l’école, les bras chargés de parchemins et de livres, lorsqu’elle entendit une voix, derrière une porte entrouverte. Elle reconnut immédiatement la voix d’un de ses professeurs. Le plus discrètement possible, elle passa son œil par l’entrebâillement et étouffa un cri. Un homme, grand et athlétique, était adossé au bureau de la salle de classe, et discutait avec le professeur qui tournait le dos à Sen. Ses cheveux noirs et courts étaient plaqués en arrière. Plusieurs mèches blanches pendaient sur son front. Les traits de son visage étaient durs et sévères, et sa bouche toujours étirée en un sourire narquois. Ses yeux, d’un gris métallique, s’accordaient étrangement avec les signes qui parcouraient sa peau blanche, sur une moitié de son visage. Le reste de son corps emmitouflé sous maintes couches de vêtements en cachaient surement d’autres…Sen, derrière la porte, ne put détourner le regard de ces marques argentées, qui luisaient mystérieusement sous la lumière tamisée de la pièce. On aurait dit qu’elles se mouvaient sur sa peau.
-…passerai demain dans ce cas, préparez vos élèves à mon arrivée. Je ne tolérerai aucune impolitesse.
- Mais bien sur Jirok, ce sera un honneur.
- Il me faut partir, j’ai une affaire. Des Netras ont été repérés à l’ouest du district, et tout ces fichus Vatars incompétents les ont laissés filés. Nous nous verrons donc demain.
L’homme aux tatouages argentés se leva et, derrière la porte, Sen sursauta et laissa tomber ses livres et ses parchemins. Les deux hommes ouvrirent la porte si brusquement que Sen recula, à terre, effrayée.
- Mais mais…que fais-tu là jeune fille, à cette heure-ci ? Il va bientôt faire nuit ! s’indigna le professeur, un homme d’une quarantaine d’année, caché derrière ses énormes lunettes aux montures épaisses.
Il l’aida à se relever ou plutôt la souleva par l’épaule comme si elle avait été faite de plumes.
- J’attends une réponse !
Sen tremblait, et les larmes menaçaient de surgir à tout moment. Mais devant cet homme aux tatouages…elle n’y parvenait pas. Elle était comme pétrifiée par cet être inquiétant et étranger.
- Qui est-ce ? demanda-t-il alors au professeur.
- C’est une élève. Une véritable tête en l’air qui traine toujours dans les couloirs et qui aime espionner !
- Allons allons…Comment t’appelles-tu gamine ?
Sen leva les yeux vers l’inconnu, toujours tremblante. Pour ne plus parvenir à détourner le regard.
- Je…je m’appelle Sen monsieur. Senyara.
- Quel âge as-tu ?
- J’ai 10 ans.
- Hum…et que faisais-tu là, à nous espionner ?
- Je…je ne vous espionnais pas monsieur ! Je…j’étais en retard, et j’ai entendu des voix et…
- Suffit ! Tu vas gentiment regagner ta maison maintenant petite sotte, file !
Sen baissa la tête et s’inclina légèrement, avant de s’enfuir à toutes jambes et disparaitre de la vue des deux hommes. Sans se rendre compte qu’elle avait oublié l’un de ses parchemins sur le sol. Jirok se baissa et le ramassa.
- Puis-je garder ceci ? Je lui rendrai demain.
- Comme vous voulez. Mais cela m’étonnerait que vous trouviez quelque chose d’intelligent là-dedans…
- J’en jugerai moi-même si vous le voulez bien. N’oubliez pas de prévenir vos élèves pour demain.
Sur ces dernières paroles, il s’éloigna après un bref salut et disparut à son tour du couloir. Le professeur, quant à lui, revint dans sa classe et ferma la porte à clé.
Dernière édition par Maia le 24/6/2021, 13:00, édité 1 fois
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Sen, lorsqu'elle sortit de l'école, fila à toute allure jusqu'à chez elle, où elle s'enferma dans sa chambre.
Sa mère, au rez-de-chaussée, la héla, inquiète :
- Sen? Est-ce que tout va bien ma chérie?
- Je n'ai pas faim.
- Mais...je t'ai préparé ce...
- J'ai mal au ventre maman, je n'ai pas faim. Je vais dormir maintenant, bonne nuit!
La mère de la jeune fille haussa les sourcils puis revint dans la cuisine avec son mari.
A l'étage, allongée sur son lit, haletante, Sen se repassait à l'esprit l'image de cet homme, Jirok. Qui était-il? Elle avait déjà entendu parler de ces gens, dont la peau était parcourue de symboles particuliers, à la force surhumaine ou aux pouvoirs surnaturels. Des Vatars. Cet homme en était-il réellement un?
Sen se redressa légèrement et s'empara d'un parchemin vierge qui trainassait là ainsi qu'un fusain dans le tiroir de son chevet. Le visage de Jirok surgit facilement dans son esprit, si présent et si détaillé qu'elle avait l'impression d'être en sa compagnie. Un frisson lui parcourut l'échine, et son coeur se mit à battre plus vite. Sen parcourut le parchemin à la hâte, étalant des trains bruns et poussiéreux derrière elle. Bientôt, le visage du Vatar se dessina, étonnant de justesse, sur le jaune du papier. Sen épousseta la feuille et observa ce visage jusqu'à ce que le sommeil l'emporte.
- Sen! Sen! Réveille-toi bon sang!
La jeune fille, entrouvrit les yeux et sentit à peine sa mère la secouer de plus en plus fort.
- Hhhh...quoi?
- Sen! Si tu ne te lèves pas, tu vas être encore en retard nom d'une pipe! Debout!
La jeune fille se tordit le cou et vit l'heure sur son horloge. 7h42. Soudain très réveillée, elle bondit de son lit, glissa sur les vêtements qui s'entassaient sur le sol, et fila dans la salle de bain. Son chignon grossier tombait lamentablement sur son crâne, et plusieurs mèches rebelles rebiquaient de partout. Ses yeux bridés et d'un brun sombre portaient encore la marque d'une lourde fatigue. Des traces d'oreiller s'étalaient sur le côté droit de son visage, qu'elle plongea dans l'eau froide. En quelques minutes, elle s'était brossée les dents et habillée à la va-vite, sans s'apercevoir que sa tunique était à l'envers. Elle s'empara de sa besace et dévala les escaliers quatre à quatre, manquant encore une fois de glisser. Alors qu'elle traversait la cuisine, elle déroba une pomme qu'elle mangea durant le trajet, toujours à courir.
Sa vie se résumait le plus longtemps à courir contre le temps. Le retard faisait partie intégrante de son existence, et rares étaient les jours où elle était à l'heure en cours. Ce jour-là ne fit pas exception à la règle. Elle traversa les couloirs et ouvrit violemment la porte, s'attirant les regards surpris et amusés de ses camarades et du professeur. Mais ce n'était pas cela qui la figea sur place. Jirok était là, nonchalamment appuyé contre le bureau, et l'observait avec attention, le visage toujours étiré de son sourire narquois.
- Encore en retard! Mais qu'espérais-je donc?! geignit le professeur en levant les yeux aux ciels. Asseyez-vous sans un mot! Nous avons un invité aujourd'hui!
Sen s'excusa et chercha une place des yeux. Elle en trouva une près d'un garçon aux cheveux blonds et longs, et au regard bleu de ciel, qui semblait se régaler de la situation en pouffant. Elle n'avait aucune envie de s'installer à ses côtés mais n'avait pas le choix. Aussi s'avança t-elle jusqu'au banc libre, sentant le regard de Jirok brûler sa nuque.
Un long silence suivit l'entrée en classe de Sen et l'attention se focalisa très vite sur Jirok, qui venait de se lever. Il fit le tour des tables d'un pas assuré, le plancher craquant sinistrement sous ses grosses bottes noires. Il détallait chaque élève avec attention, comme s'il pouvait lire en eux, et s'arrêtait même parfois pour sourire. Non un sourire de tendresse ou de compassion, mais un sourire qui cachait quelque chose. Un sourire malin, rusé, moqueur parfois même. Sen le voyait du coin de l'œil, il se rapprochait.
Lorsqu'il fut à sa table il s'arrêta et détailla d'abord avec attention le jeune homme à côté d'elle. Celui-ci ne semblait pas perturbé par cette drôle de situation, ni par les tatouages qui parcouraient la peau de Jirok, ni par son regard métallique qui le sondait. Il ne cillait pas. Ne tremblait pas. Et garda la tête haute jusqu'à ce que Jirok détourne le regard pour observer Sen. Cette dernière avala sa salive et tenta d'imiter son camarade.
Jirok ne l'observait pas de la même façon. Vu le temps durant lequel il l'étudia, elle put voir que l'un de ses yeux était plus sombre que l'autre. Qu'une boucle d'oreille en argent pendait sur sa droite. Que l'une des mèches blanches de ses cheveux pendaient sur son front. Que ses lèvres étaient fines. Que le tatouage au dessus de son sourcil formait une sorte de soleil dont les rayons s'éparpillaient sur son fronts en fines branches sinueuses. Qu'un dessin semblable à un oeil s'étirait sur son cou, dont la pupille brillait étrangement d'une lueur pâle.
Jirok fit soudain demi-tour, sans laisser Sen poursuivre son inspection. Il revint vers le professeur et lui murmura quelques mots à l'oreille. Sen jura voir les yeux de ce dernier se poser sur elle, puis sur son voisin. Après quelques secondes, Jirok sortit de la salle.
Le professeur ôta ses lunettes, s'épongea le front, puis s'éclaircit la gorge. De toute évidence, il n'était pas à l'aide en compagnie du Vatar...
- Bien, comme vous avez pu le voir, cet homme est un Vatar, du nom de Jirok.
Chaque élève ici présent avait entendu ce nom quelque part, même s'ils ignoraient encore son sens exact.
- Inutile de vous préciser que cet homme est très important, aussi je vous demanderai d'être bien plus respectueux lors de sa prochaine visite, me suis-je bien comprendre?!
Ses paroles ne visaient pas la classe, mais Sen. La jeune fille acquiesça en silence. La venue du Vatar disparut soudain des esprits et le cours commença comme à l'habitude.
Il était déjà quatre heures de l'après-midi et la chaleur était étouffante. Les élèves secouaient tous une feuille devant leur visage et soupirait dès qu'ils le pouvaient, épuisés. Sen, affalée sur la table, le visage collée contre sa paume, observait le ciel d'un air absent, sans s'apercevoir que la porte de la classe venait de s'ouvrir sur Jirok. Le professeur cessa immédiatement son long monologue, s'épongea le front.
Sen, qui n'avait toujours rien remarqué, fut tirée de ses rêveries par un léger coup de coude de son voisin, qui lui désigna le Vatar d'un geste du menton. Sen se redressa brusquement. Jirok glissa un mot à l'oreille du professeur qui acquiesça en silence avant de s'adresser à la classe :
- Exceptionnellement, nous en avons fini pour aujourd'hui. N'oubliez pas vos livres demain, ni votre exposé. Oh, vous deux, vous restez.
Sen et son voisin s'observèrent un instant, stoppés dans leur enthousiasme. Les élèves fondirent vers la porte et en quelques minutes, tout fut silencieux.
- Bien, je vous laisse...discuter.
Sur ce, il sortit de la pièce. Jirok, s'avança vers les deux enfants et approcha son visage du leur. Sen sentit son coeur battre la chamade. A ses côtés, le garçon ne bougeait pas d'un poil.
- Comment t'appelles-tu? lui demanda Jirok.
- Hoan, Monsieur.
- Hoan et Senyara...
Il sembla réfléchir un instant puis reprit la parole, s'écartant un peu plus d'eux.
- Jeunes gens, j'ai une proposition pour vous, qui ne vous sera accordée qu'une fois dans votre vie. Écoutez-moi bien, car je ne le répèterai pas.
Sen avala sa salive.
- Je peux faire de vous des Vatars. Qu'en dîtes-vous?
Sa mère, au rez-de-chaussée, la héla, inquiète :
- Sen? Est-ce que tout va bien ma chérie?
- Je n'ai pas faim.
- Mais...je t'ai préparé ce...
- J'ai mal au ventre maman, je n'ai pas faim. Je vais dormir maintenant, bonne nuit!
La mère de la jeune fille haussa les sourcils puis revint dans la cuisine avec son mari.
A l'étage, allongée sur son lit, haletante, Sen se repassait à l'esprit l'image de cet homme, Jirok. Qui était-il? Elle avait déjà entendu parler de ces gens, dont la peau était parcourue de symboles particuliers, à la force surhumaine ou aux pouvoirs surnaturels. Des Vatars. Cet homme en était-il réellement un?
Sen se redressa légèrement et s'empara d'un parchemin vierge qui trainassait là ainsi qu'un fusain dans le tiroir de son chevet. Le visage de Jirok surgit facilement dans son esprit, si présent et si détaillé qu'elle avait l'impression d'être en sa compagnie. Un frisson lui parcourut l'échine, et son coeur se mit à battre plus vite. Sen parcourut le parchemin à la hâte, étalant des trains bruns et poussiéreux derrière elle. Bientôt, le visage du Vatar se dessina, étonnant de justesse, sur le jaune du papier. Sen épousseta la feuille et observa ce visage jusqu'à ce que le sommeil l'emporte.
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- Sen! Sen! Réveille-toi bon sang!
La jeune fille, entrouvrit les yeux et sentit à peine sa mère la secouer de plus en plus fort.
- Hhhh...quoi?
- Sen! Si tu ne te lèves pas, tu vas être encore en retard nom d'une pipe! Debout!
La jeune fille se tordit le cou et vit l'heure sur son horloge. 7h42. Soudain très réveillée, elle bondit de son lit, glissa sur les vêtements qui s'entassaient sur le sol, et fila dans la salle de bain. Son chignon grossier tombait lamentablement sur son crâne, et plusieurs mèches rebelles rebiquaient de partout. Ses yeux bridés et d'un brun sombre portaient encore la marque d'une lourde fatigue. Des traces d'oreiller s'étalaient sur le côté droit de son visage, qu'elle plongea dans l'eau froide. En quelques minutes, elle s'était brossée les dents et habillée à la va-vite, sans s'apercevoir que sa tunique était à l'envers. Elle s'empara de sa besace et dévala les escaliers quatre à quatre, manquant encore une fois de glisser. Alors qu'elle traversait la cuisine, elle déroba une pomme qu'elle mangea durant le trajet, toujours à courir.
Sa vie se résumait le plus longtemps à courir contre le temps. Le retard faisait partie intégrante de son existence, et rares étaient les jours où elle était à l'heure en cours. Ce jour-là ne fit pas exception à la règle. Elle traversa les couloirs et ouvrit violemment la porte, s'attirant les regards surpris et amusés de ses camarades et du professeur. Mais ce n'était pas cela qui la figea sur place. Jirok était là, nonchalamment appuyé contre le bureau, et l'observait avec attention, le visage toujours étiré de son sourire narquois.
- Encore en retard! Mais qu'espérais-je donc?! geignit le professeur en levant les yeux aux ciels. Asseyez-vous sans un mot! Nous avons un invité aujourd'hui!
Sen s'excusa et chercha une place des yeux. Elle en trouva une près d'un garçon aux cheveux blonds et longs, et au regard bleu de ciel, qui semblait se régaler de la situation en pouffant. Elle n'avait aucune envie de s'installer à ses côtés mais n'avait pas le choix. Aussi s'avança t-elle jusqu'au banc libre, sentant le regard de Jirok brûler sa nuque.
Un long silence suivit l'entrée en classe de Sen et l'attention se focalisa très vite sur Jirok, qui venait de se lever. Il fit le tour des tables d'un pas assuré, le plancher craquant sinistrement sous ses grosses bottes noires. Il détallait chaque élève avec attention, comme s'il pouvait lire en eux, et s'arrêtait même parfois pour sourire. Non un sourire de tendresse ou de compassion, mais un sourire qui cachait quelque chose. Un sourire malin, rusé, moqueur parfois même. Sen le voyait du coin de l'œil, il se rapprochait.
Lorsqu'il fut à sa table il s'arrêta et détailla d'abord avec attention le jeune homme à côté d'elle. Celui-ci ne semblait pas perturbé par cette drôle de situation, ni par les tatouages qui parcouraient la peau de Jirok, ni par son regard métallique qui le sondait. Il ne cillait pas. Ne tremblait pas. Et garda la tête haute jusqu'à ce que Jirok détourne le regard pour observer Sen. Cette dernière avala sa salive et tenta d'imiter son camarade.
Jirok ne l'observait pas de la même façon. Vu le temps durant lequel il l'étudia, elle put voir que l'un de ses yeux était plus sombre que l'autre. Qu'une boucle d'oreille en argent pendait sur sa droite. Que l'une des mèches blanches de ses cheveux pendaient sur son front. Que ses lèvres étaient fines. Que le tatouage au dessus de son sourcil formait une sorte de soleil dont les rayons s'éparpillaient sur son fronts en fines branches sinueuses. Qu'un dessin semblable à un oeil s'étirait sur son cou, dont la pupille brillait étrangement d'une lueur pâle.
Jirok fit soudain demi-tour, sans laisser Sen poursuivre son inspection. Il revint vers le professeur et lui murmura quelques mots à l'oreille. Sen jura voir les yeux de ce dernier se poser sur elle, puis sur son voisin. Après quelques secondes, Jirok sortit de la salle.
Le professeur ôta ses lunettes, s'épongea le front, puis s'éclaircit la gorge. De toute évidence, il n'était pas à l'aide en compagnie du Vatar...
- Bien, comme vous avez pu le voir, cet homme est un Vatar, du nom de Jirok.
Chaque élève ici présent avait entendu ce nom quelque part, même s'ils ignoraient encore son sens exact.
- Inutile de vous préciser que cet homme est très important, aussi je vous demanderai d'être bien plus respectueux lors de sa prochaine visite, me suis-je bien comprendre?!
Ses paroles ne visaient pas la classe, mais Sen. La jeune fille acquiesça en silence. La venue du Vatar disparut soudain des esprits et le cours commença comme à l'habitude.
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Il était déjà quatre heures de l'après-midi et la chaleur était étouffante. Les élèves secouaient tous une feuille devant leur visage et soupirait dès qu'ils le pouvaient, épuisés. Sen, affalée sur la table, le visage collée contre sa paume, observait le ciel d'un air absent, sans s'apercevoir que la porte de la classe venait de s'ouvrir sur Jirok. Le professeur cessa immédiatement son long monologue, s'épongea le front.
Sen, qui n'avait toujours rien remarqué, fut tirée de ses rêveries par un léger coup de coude de son voisin, qui lui désigna le Vatar d'un geste du menton. Sen se redressa brusquement. Jirok glissa un mot à l'oreille du professeur qui acquiesça en silence avant de s'adresser à la classe :
- Exceptionnellement, nous en avons fini pour aujourd'hui. N'oubliez pas vos livres demain, ni votre exposé. Oh, vous deux, vous restez.
Sen et son voisin s'observèrent un instant, stoppés dans leur enthousiasme. Les élèves fondirent vers la porte et en quelques minutes, tout fut silencieux.
- Bien, je vous laisse...discuter.
Sur ce, il sortit de la pièce. Jirok, s'avança vers les deux enfants et approcha son visage du leur. Sen sentit son coeur battre la chamade. A ses côtés, le garçon ne bougeait pas d'un poil.
- Comment t'appelles-tu? lui demanda Jirok.
- Hoan, Monsieur.
- Hoan et Senyara...
Il sembla réfléchir un instant puis reprit la parole, s'écartant un peu plus d'eux.
- Jeunes gens, j'ai une proposition pour vous, qui ne vous sera accordée qu'une fois dans votre vie. Écoutez-moi bien, car je ne le répèterai pas.
Sen avala sa salive.
- Je peux faire de vous des Vatars. Qu'en dîtes-vous?
Dernière édition par Maia le 11/9/2011, 22:18, édité 1 fois
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Sen sentit une goutte de sueur rouler sur sa nuque, puis le long de son dos. Ses mains devinrent moites et son coeur battait la chamade.
Devenir Vatar, elle, Sen? Elle n'en croyait pas un mot. C'était impossible.
Hoan, a ses côtés, eut un léger mouvement de recul et baissa la tête, comme pour réfléchir. Sen l'observait du coin de l'oeil, incapable de trouver les mots justes. Jirok croisa les bras sans les quitter des yeux, et patienta plus de cinq minutes, lorsque Sen prit la parole.
- Pourquoi nous? Il y a plein d'élèves dans la classe non? Pourquoi nous avoir choisi nous?
Sans le vouloir, sa voix s'était faite ferme et brusque. Jirok posa les yeux sur elle et sourit.
- Parce que je vois un potentiel en vous qui n'est pas présent chez les autres. Un potentiel que nous pouvons améliorer.
- Qui ça nous?
- Nous autres, Vatars.
- Vous voulez dire qu'on étudiera plus ici?
Jirok attendit quelques secondes avant de répondre, puis fit quelques pas de long en large, son regard métallique fixé sur ses bottes.
- Si votre souhait est de m'accompagner, il vous faudra faire le serment de ne rien divulguer et d'obéir à tout ce que je vous dirai. Devenir Vatar ne se fait pas en un claquement de doigt, le processus est long et nécessitera de votre part un travail énorme. Lorsque l'on vous jugera prêts, vous pourrez accéder à la Vatarstasis.
- La quoi?!
- La Vatarstasis, l'opération qui élève au rang de Vatar ceux qui en sont dignes.
Sen bouillonnait. On lui demandait une telle chose, alors qu'il ne se passait jamais rien dans sa vie. A l'école, elle s'ennuyer plus qu'autre chose, et passait son temps à dessiner ce qu'elle voyait, ou a s'imaginer volant dans le ciel. Cela ne l'empêchait pourtant pas d'avoir de bonnes notes, certes...Et voilà qu'on lui demandait de se soumettre à l'autorité de cet homme sorti de nulle part pour avoir l'occasion de devenir Vatar. Peut-être était-ce un honneur pour Hoan, mais elle ne le voyait pas de la même façon.
- Me suivre signifiera rompre tout contact avec votre famille et vos proches durant les années à venir. Vous serez tenu dans le secret le plus complet jusqu'à la Tarsis, si il y a. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère, aussi je vous laisse jusqu'à demain soir pour réfléchir. Je repasserai à ce moment là.
Puis il sortit de la pièce en leur lançant un dernier regard intense. Hoan et Sen restèrent debout, à leur banc, pendant un long moment, plongés dans leur pensée.
D'un côté, Hoan n'avait pas de famille et vivait dans un orphelinat où jamais personne ne s'occupait réellement de lui. Rien ne l'attendait ici, et le monde dans lequel il s'apprêtait à plonger ne pouvait qu'être meilleur que celui dans lequel il vivait.
De l'autre, Sen pensait à sa famille. Elle ignorait que ce n'était pas ses vrais parents à cette époque, et les quitter serait pour elle une douleur qu'elle doutait parvenir à supporter. Et pourtant...Cet homme l'attirait. Dès qu'elle croisait son regard, une excitation sans nom s'emparait d'elle, faisait battre son coeur et provoquait des frissons incontrôlables. Et ces tatouages qui parcouraient sa peau lui donnait un air mystérieux et saisissant. Elle ne parvenait à quitter ces symboles argentés des yeux.
- Je vais accepter, déclara Hoan sur un ton calme. J'espère qu'on se reverra là-bas...
Puis il sortit à son tour de la classe. Jamais de sa vie Sen n'avait été confronté à pareille situation. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, un parchemin sur son bureau attira son attention. Elle s'en approcha et se figea lorsqu'elle le reconnut : c'était son dessin. Un de ses nombreux dessins qu'elle faisait en cours, lorsqu'elle observait quelque chose. Sen avait toujours eu une vue incroyable, et rares étaient les détails qui lui échappaient. Aussi aimait-elle les inscrire sur papier, comme pour les graver dans la vraie vie.
Ce parchemin représentait un engin volant vu par la fenêtre, d'une précision surprenante. Elle s'en empara et l'observa pendant plusieurs minutes, silencieuse. Tout lui revint en mémoire. Elle se revit faire tomber ses affaires dans le couloir, et filer à toutes jambes, en laissant un derrière elle. Jirok l'avait sûrement ramassé et étudié avant de lui parler ce soir.
Sen soupira longuement puis sortit de la pièce à son tour.
Elle avait pris sa décision.
Le lendemain matin, Sen n'eut aucun mal à se lever. Elle n'avait pas dormi de la nuit. Elle s'habille et se lava machinalement, puis descendit déjeuner. Sa mère n'était pas levée. Aurait-elle dut aller la réveiller pour lui annoncer la nouvelle? Non, elle ne le pouvait pas. Après avoir croquée dans une pomme, elle partit sur le chemin de l'école. L'atmosphère était déjà lourde et étouffante alors que la matinée commençait à peine. Sen déambula dans les rues, le regard vague, perdue dans ses pensées.
"La Vatarstasis, l'opération qui élève au rang de Vatar ceux qui en sont dignes"
En était-elle digne? Était-elle digne de quoi que ce soit dans la vie?
Elle fut tirée de ses rêveries par son nom, crié au loin. Lorsqu'elle en chercha la source, elle vit Hoan, assis sur un épais muret en pierre devant l'école. Plusieurs élèves étaient déjà arrivés et discutaient tranquillement avant d'entrer en classe. Sen, en rejoignant son camarade, eut tout le loisir de l'observer. Elle ne remarqua que maintenant la clarté lumineuse de ses yeux turquoises, et les traits délicats de son visage.
- Salut, lui dit-il lorsqu'elle l'eut rejoint. Bien dormi?
- Pas fermé l'oeil de la nuit. Et toi?
- J'ai bien peur que moi non plus.
Sen le rejoignit sur son muret et balança ses fines jambes.
- Tu as pris ta décision?
Sen ne répondit pas, et gardait les yeux fixés sur ses ballerines. Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, la sonnerie retentit et ils durent entrer en classe. Hoan et Sen s'installèrent l'un à côté de l'autre, sous les regards amusés et moqueurs des autres élèves.
La journée se déroula comme d'ordinaire, et la soirée arriva bientôt. Le professeur, sûrement au courant de la venue de Jirok, patienta avec les enfants.
- Avez-vous pris une décision? leur demanda-t-il alors.
- Oui. J'accepte la proposition.
- Et toi Sen?
De nouveau, elle fut coupée par l'entrée de Jirok, silencieuse mais efficace. Le professeur observa ses deux élèves avec attention et, pour la première fois de sa carrière, sourit d'un air qui se voulait affectueux. Puis il quitta la pièce. Jirok s'assit sur une table et prit aussitôt la parole :
- Je n'irai pas par quatre chemins. Avez-vous réfléchi?
- Oui Monsieur, et je vous accompagne, répondit Hoan en s'inclinant légèrement.
Puis les regards se tournèrent sur Sen, au coeur battant. Elle plongea ses yeux dans ceux du Vatar et déclara d'une voix sure :
- Je vous suis.
Jirok inclina la tête, sans laisser paraître la moindre émotion, puis poussa un léger soupir.
- Dans ce cas, nous partons. Nous avons envoyé quelqu'un prévenir vos familles de votre absence. En dehors de cela, rien ne doit être divulguer. Suivez-moi à présent.
Il se leva, suivit des deux enfants, et sortit de l'école. Ils traversèrent de nombreuses rues, dont la plupart bondées de monde, puis débouchèrent sur une vaste plate-forme ressemblant étrangement à une piste d'atterrissage. Et en son milieu siégeaient deux des engins volants que Sen avait dessiné.
- Ce sont des motopulses, expliqua Jirok devant l'expression ébahie des deux enfants. Elles nous serviront à voyager jusqu'à là-bas.
- Ou va-t-on précisément?
Jirok ne répondit pas et s'approcha des motopulses...et de l'homme qui y était adossé. Un homme, de mois de trente ans, au visage parfait et lisse, comme taillé dans le marbre. Il ne souriait pas et fixait les nouveaux arrivants de son regard bleu-gris. Des tatouages, différents de ceux de Jirok, parcourait sa peau pâle, luisant d'un éclat légèrement bleuté, comme le fond des océans. Sen, fascinée, en oublia les bonnes manières. Le Vatar posa son regard sur elle sans dire un mot.
- Présentez-vous, ordonna Jirok d'un ton sans appel.
- Je m'appelle Hoan Monsieur.
- Je m'appelle Senyâra.
L'homme se leva et s'approcha d'eux, comme pour mieux les détailler. Il était grand et fin, vêtu d'une combinaison de cuir légère et sombre, et d'une veste grise.
- Mon nom est Listair, dit-il enfin d'une voix calme et profonde.
- Les présentations faites, nous y allons. Hoan, monte avec moi. Sen avec Listair.
Jirok grimpa sur une motopulse et sortit des lunettes de son manteau, en offrant une paire au jeune garçon à l'arrière. Listair s'installa sur l'autre et rabattit lui aussi une paire de lunettes sur son nez. Sen s'assit derrière lui et prit la paire que lui tendait Listair. Elle les détalla un long moment puis les enfila. Sa vue se teinta de gris.
- C'est parti.
La moto de Jirok vrombit avec puissance et s'élança vers le vide. Sen eut le temps d'entendre Hoan crier et de le voir s'accrocher au blouson du Vatar au dernier moment. La motopulse sombra dans le vide. Puis remonta, et grimpa vers les ciel en grondant et dégageant un léger nuage de fumée grisâtre.
- Tu ferais mieux de te tenir à moi, jeune Senyâra.
Sen sursauta et avala sa salive avant d'entourer la taille de Listair de ses maigres bras. La motopulse vibra sous eux, puis s'élança à son tour. Le vent chaud siffla aux oreilles de la jeune fille lorsqu'elle se sentit tomber vers le bas, pour se redresser aussitôt et suivre l'autre motopulse.
Incroyable...elle volait!
Elle décolla sa tête du dos de Listair et jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et son corps fut parcouru d'un frisson d'excitation. Le district sur lequel elle habitait s'éloignait déjà à vue d'œil, gros morceau de pierre naviguant dans le ciel au dessus d'un océan de nuage, le Voile. Sen grava cette image dans sa mémoire et observa devant elle. Elle apercevait Hoan, une dizaine de mètres devant, qui semblait lui aussi se régaler de ce qu'il voyait.
Ils semblaient se diriger vers un bloc encore plus énorme que le district qu'ils venaient de quitter : Ni Mong. Enorme bloc, sommet de la technologie, s'étendait devant eux. Bien sur, depuis son district, Sen l'apercevait, mais il paraissait si petit! Elle voyait déjà les habitations, les tours, d'énormes bâtisses, des jardins, des routes, des passants...
La moto de Listair ralentissait et chutait légèrement, puis se posa sur une surface plane, à l'ouest du district. Sen remarqua que le territoire était éloigné de la ville...
Listair leva ses lunettes et descendit de la moto. Sen le suivit, et tituba légèrement en regagnant la terre ferme. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti de sensation aussi intense! Listair la regardait et un mince sourire étira ses lèvres.
- Il est rare que les enfants aiment les motopulse. Surtout les petites filles.
Sen ne répondit pas mais caressa l'engin du regard. Elle se jura d'en obtenir une dès qu'elle le pourrait. Jirok et Hoan, posés un peu plus loin, leur firent signe de les suivre. Sen en profita pour observer Listair du coin de l'oeil. Il n'avait pas du tout la même démarche que Jirok. Son corps, mis en valeur par la combinaison de cuir, était plus fin, et délié, laissant transparaître des muscles étirés et travaillés. Sa démarche lui rappelait celle d'un félin, silencieuse, agile et efficace. Les marques scintillants sur sa peau luisaient dans sa nuque et sur ses mains. D'une certaine façon, Sen éprouvait encore plus d'admiration pour lui.
Ils rattrapèrent leurs compagnons et Sen s'approcha d'Hoan dont le visage pâle témoignait de la virée d'il y avait quelques minutes.
Ils pénétrèrent par un portail surveillé par deux autres Vatars, qui, hormis les tatouages qui sillonnaient leur peau, n'avaient rien d'extraordinaire. Surement étaient-ils moins puissants que Listair et Jirok, songea Sen. Ils traversèrent une cour en gravier entourée d'un haut grillage, et entrèrent dans une grande bâtisse par une porte en fer grinçante. Les couloirs se succédèrent, sans croiser personne, puis une suite de portes numérotées de 19 à 24.
- Sen, voici ton dortoir, annonça Jirok en montrant la pièce n°20. Tu auras là-bas ce qu'il te faudra. Les autres filles te diront quoi faire. En attendant...ne fais rien qui puisse nous causer des problèmes.
Ils s'en allèrent. Hoan lui fit un petit signe inquiet de la main puis ils disparurent. Sen prit son courage à deux mains et entra dans le dortoir.
Le silence se fit aussitôt et une dizaine de fille tournèrent la tête vers elle. Certaines étaient plus jeunes, d'autres plus âgées. Mais toutes semblaient s'être parfaitement adaptées à la vie ici.
Sen sentit la peur nouer son estomac. Et ce n'était que le début...
Devenir Vatar, elle, Sen? Elle n'en croyait pas un mot. C'était impossible.
Hoan, a ses côtés, eut un léger mouvement de recul et baissa la tête, comme pour réfléchir. Sen l'observait du coin de l'oeil, incapable de trouver les mots justes. Jirok croisa les bras sans les quitter des yeux, et patienta plus de cinq minutes, lorsque Sen prit la parole.
- Pourquoi nous? Il y a plein d'élèves dans la classe non? Pourquoi nous avoir choisi nous?
Sans le vouloir, sa voix s'était faite ferme et brusque. Jirok posa les yeux sur elle et sourit.
- Parce que je vois un potentiel en vous qui n'est pas présent chez les autres. Un potentiel que nous pouvons améliorer.
- Qui ça nous?
- Nous autres, Vatars.
- Vous voulez dire qu'on étudiera plus ici?
Jirok attendit quelques secondes avant de répondre, puis fit quelques pas de long en large, son regard métallique fixé sur ses bottes.
- Si votre souhait est de m'accompagner, il vous faudra faire le serment de ne rien divulguer et d'obéir à tout ce que je vous dirai. Devenir Vatar ne se fait pas en un claquement de doigt, le processus est long et nécessitera de votre part un travail énorme. Lorsque l'on vous jugera prêts, vous pourrez accéder à la Vatarstasis.
- La quoi?!
- La Vatarstasis, l'opération qui élève au rang de Vatar ceux qui en sont dignes.
Sen bouillonnait. On lui demandait une telle chose, alors qu'il ne se passait jamais rien dans sa vie. A l'école, elle s'ennuyer plus qu'autre chose, et passait son temps à dessiner ce qu'elle voyait, ou a s'imaginer volant dans le ciel. Cela ne l'empêchait pourtant pas d'avoir de bonnes notes, certes...Et voilà qu'on lui demandait de se soumettre à l'autorité de cet homme sorti de nulle part pour avoir l'occasion de devenir Vatar. Peut-être était-ce un honneur pour Hoan, mais elle ne le voyait pas de la même façon.
- Me suivre signifiera rompre tout contact avec votre famille et vos proches durant les années à venir. Vous serez tenu dans le secret le plus complet jusqu'à la Tarsis, si il y a. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère, aussi je vous laisse jusqu'à demain soir pour réfléchir. Je repasserai à ce moment là.
Puis il sortit de la pièce en leur lançant un dernier regard intense. Hoan et Sen restèrent debout, à leur banc, pendant un long moment, plongés dans leur pensée.
D'un côté, Hoan n'avait pas de famille et vivait dans un orphelinat où jamais personne ne s'occupait réellement de lui. Rien ne l'attendait ici, et le monde dans lequel il s'apprêtait à plonger ne pouvait qu'être meilleur que celui dans lequel il vivait.
De l'autre, Sen pensait à sa famille. Elle ignorait que ce n'était pas ses vrais parents à cette époque, et les quitter serait pour elle une douleur qu'elle doutait parvenir à supporter. Et pourtant...Cet homme l'attirait. Dès qu'elle croisait son regard, une excitation sans nom s'emparait d'elle, faisait battre son coeur et provoquait des frissons incontrôlables. Et ces tatouages qui parcouraient sa peau lui donnait un air mystérieux et saisissant. Elle ne parvenait à quitter ces symboles argentés des yeux.
- Je vais accepter, déclara Hoan sur un ton calme. J'espère qu'on se reverra là-bas...
Puis il sortit à son tour de la classe. Jamais de sa vie Sen n'avait été confronté à pareille situation. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, un parchemin sur son bureau attira son attention. Elle s'en approcha et se figea lorsqu'elle le reconnut : c'était son dessin. Un de ses nombreux dessins qu'elle faisait en cours, lorsqu'elle observait quelque chose. Sen avait toujours eu une vue incroyable, et rares étaient les détails qui lui échappaient. Aussi aimait-elle les inscrire sur papier, comme pour les graver dans la vraie vie.
Ce parchemin représentait un engin volant vu par la fenêtre, d'une précision surprenante. Elle s'en empara et l'observa pendant plusieurs minutes, silencieuse. Tout lui revint en mémoire. Elle se revit faire tomber ses affaires dans le couloir, et filer à toutes jambes, en laissant un derrière elle. Jirok l'avait sûrement ramassé et étudié avant de lui parler ce soir.
Sen soupira longuement puis sortit de la pièce à son tour.
Elle avait pris sa décision.
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Le lendemain matin, Sen n'eut aucun mal à se lever. Elle n'avait pas dormi de la nuit. Elle s'habille et se lava machinalement, puis descendit déjeuner. Sa mère n'était pas levée. Aurait-elle dut aller la réveiller pour lui annoncer la nouvelle? Non, elle ne le pouvait pas. Après avoir croquée dans une pomme, elle partit sur le chemin de l'école. L'atmosphère était déjà lourde et étouffante alors que la matinée commençait à peine. Sen déambula dans les rues, le regard vague, perdue dans ses pensées.
"La Vatarstasis, l'opération qui élève au rang de Vatar ceux qui en sont dignes"
En était-elle digne? Était-elle digne de quoi que ce soit dans la vie?
Elle fut tirée de ses rêveries par son nom, crié au loin. Lorsqu'elle en chercha la source, elle vit Hoan, assis sur un épais muret en pierre devant l'école. Plusieurs élèves étaient déjà arrivés et discutaient tranquillement avant d'entrer en classe. Sen, en rejoignant son camarade, eut tout le loisir de l'observer. Elle ne remarqua que maintenant la clarté lumineuse de ses yeux turquoises, et les traits délicats de son visage.
- Salut, lui dit-il lorsqu'elle l'eut rejoint. Bien dormi?
- Pas fermé l'oeil de la nuit. Et toi?
- J'ai bien peur que moi non plus.
Sen le rejoignit sur son muret et balança ses fines jambes.
- Tu as pris ta décision?
Sen ne répondit pas, et gardait les yeux fixés sur ses ballerines. Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, la sonnerie retentit et ils durent entrer en classe. Hoan et Sen s'installèrent l'un à côté de l'autre, sous les regards amusés et moqueurs des autres élèves.
La journée se déroula comme d'ordinaire, et la soirée arriva bientôt. Le professeur, sûrement au courant de la venue de Jirok, patienta avec les enfants.
- Avez-vous pris une décision? leur demanda-t-il alors.
- Oui. J'accepte la proposition.
- Et toi Sen?
De nouveau, elle fut coupée par l'entrée de Jirok, silencieuse mais efficace. Le professeur observa ses deux élèves avec attention et, pour la première fois de sa carrière, sourit d'un air qui se voulait affectueux. Puis il quitta la pièce. Jirok s'assit sur une table et prit aussitôt la parole :
- Je n'irai pas par quatre chemins. Avez-vous réfléchi?
- Oui Monsieur, et je vous accompagne, répondit Hoan en s'inclinant légèrement.
Puis les regards se tournèrent sur Sen, au coeur battant. Elle plongea ses yeux dans ceux du Vatar et déclara d'une voix sure :
- Je vous suis.
Jirok inclina la tête, sans laisser paraître la moindre émotion, puis poussa un léger soupir.
- Dans ce cas, nous partons. Nous avons envoyé quelqu'un prévenir vos familles de votre absence. En dehors de cela, rien ne doit être divulguer. Suivez-moi à présent.
Il se leva, suivit des deux enfants, et sortit de l'école. Ils traversèrent de nombreuses rues, dont la plupart bondées de monde, puis débouchèrent sur une vaste plate-forme ressemblant étrangement à une piste d'atterrissage. Et en son milieu siégeaient deux des engins volants que Sen avait dessiné.
- Ce sont des motopulses, expliqua Jirok devant l'expression ébahie des deux enfants. Elles nous serviront à voyager jusqu'à là-bas.
- Ou va-t-on précisément?
Jirok ne répondit pas et s'approcha des motopulses...et de l'homme qui y était adossé. Un homme, de mois de trente ans, au visage parfait et lisse, comme taillé dans le marbre. Il ne souriait pas et fixait les nouveaux arrivants de son regard bleu-gris. Des tatouages, différents de ceux de Jirok, parcourait sa peau pâle, luisant d'un éclat légèrement bleuté, comme le fond des océans. Sen, fascinée, en oublia les bonnes manières. Le Vatar posa son regard sur elle sans dire un mot.
- Présentez-vous, ordonna Jirok d'un ton sans appel.
- Je m'appelle Hoan Monsieur.
- Je m'appelle Senyâra.
L'homme se leva et s'approcha d'eux, comme pour mieux les détailler. Il était grand et fin, vêtu d'une combinaison de cuir légère et sombre, et d'une veste grise.
- Mon nom est Listair, dit-il enfin d'une voix calme et profonde.
- Les présentations faites, nous y allons. Hoan, monte avec moi. Sen avec Listair.
Jirok grimpa sur une motopulse et sortit des lunettes de son manteau, en offrant une paire au jeune garçon à l'arrière. Listair s'installa sur l'autre et rabattit lui aussi une paire de lunettes sur son nez. Sen s'assit derrière lui et prit la paire que lui tendait Listair. Elle les détalla un long moment puis les enfila. Sa vue se teinta de gris.
- C'est parti.
La moto de Jirok vrombit avec puissance et s'élança vers le vide. Sen eut le temps d'entendre Hoan crier et de le voir s'accrocher au blouson du Vatar au dernier moment. La motopulse sombra dans le vide. Puis remonta, et grimpa vers les ciel en grondant et dégageant un léger nuage de fumée grisâtre.
- Tu ferais mieux de te tenir à moi, jeune Senyâra.
Sen sursauta et avala sa salive avant d'entourer la taille de Listair de ses maigres bras. La motopulse vibra sous eux, puis s'élança à son tour. Le vent chaud siffla aux oreilles de la jeune fille lorsqu'elle se sentit tomber vers le bas, pour se redresser aussitôt et suivre l'autre motopulse.
Incroyable...elle volait!
Elle décolla sa tête du dos de Listair et jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et son corps fut parcouru d'un frisson d'excitation. Le district sur lequel elle habitait s'éloignait déjà à vue d'œil, gros morceau de pierre naviguant dans le ciel au dessus d'un océan de nuage, le Voile. Sen grava cette image dans sa mémoire et observa devant elle. Elle apercevait Hoan, une dizaine de mètres devant, qui semblait lui aussi se régaler de ce qu'il voyait.
Ils semblaient se diriger vers un bloc encore plus énorme que le district qu'ils venaient de quitter : Ni Mong. Enorme bloc, sommet de la technologie, s'étendait devant eux. Bien sur, depuis son district, Sen l'apercevait, mais il paraissait si petit! Elle voyait déjà les habitations, les tours, d'énormes bâtisses, des jardins, des routes, des passants...
La moto de Listair ralentissait et chutait légèrement, puis se posa sur une surface plane, à l'ouest du district. Sen remarqua que le territoire était éloigné de la ville...
Listair leva ses lunettes et descendit de la moto. Sen le suivit, et tituba légèrement en regagnant la terre ferme. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti de sensation aussi intense! Listair la regardait et un mince sourire étira ses lèvres.
- Il est rare que les enfants aiment les motopulse. Surtout les petites filles.
Sen ne répondit pas mais caressa l'engin du regard. Elle se jura d'en obtenir une dès qu'elle le pourrait. Jirok et Hoan, posés un peu plus loin, leur firent signe de les suivre. Sen en profita pour observer Listair du coin de l'oeil. Il n'avait pas du tout la même démarche que Jirok. Son corps, mis en valeur par la combinaison de cuir, était plus fin, et délié, laissant transparaître des muscles étirés et travaillés. Sa démarche lui rappelait celle d'un félin, silencieuse, agile et efficace. Les marques scintillants sur sa peau luisaient dans sa nuque et sur ses mains. D'une certaine façon, Sen éprouvait encore plus d'admiration pour lui.
Ils rattrapèrent leurs compagnons et Sen s'approcha d'Hoan dont le visage pâle témoignait de la virée d'il y avait quelques minutes.
Ils pénétrèrent par un portail surveillé par deux autres Vatars, qui, hormis les tatouages qui sillonnaient leur peau, n'avaient rien d'extraordinaire. Surement étaient-ils moins puissants que Listair et Jirok, songea Sen. Ils traversèrent une cour en gravier entourée d'un haut grillage, et entrèrent dans une grande bâtisse par une porte en fer grinçante. Les couloirs se succédèrent, sans croiser personne, puis une suite de portes numérotées de 19 à 24.
- Sen, voici ton dortoir, annonça Jirok en montrant la pièce n°20. Tu auras là-bas ce qu'il te faudra. Les autres filles te diront quoi faire. En attendant...ne fais rien qui puisse nous causer des problèmes.
Ils s'en allèrent. Hoan lui fit un petit signe inquiet de la main puis ils disparurent. Sen prit son courage à deux mains et entra dans le dortoir.
Le silence se fit aussitôt et une dizaine de fille tournèrent la tête vers elle. Certaines étaient plus jeunes, d'autres plus âgées. Mais toutes semblaient s'être parfaitement adaptées à la vie ici.
Sen sentit la peur nouer son estomac. Et ce n'était que le début...
Dernière édition par Maia le 24/6/2021, 13:16, édité 1 fois
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Au centre du grand gymnase, debout sur les tatamis, Sen respirait lentement, les yeux clos. Les mains croisés sur sa poitrine, les jambes ancrées dans le sol, légèrement écartées, elle attendait la venue de son adversaire.
Elle avait 17 ans. Son corps s'était allongé, affiné et musclé. Déjà des formes harmonieuses dessinait sa silhouette fine et athlétique.
Une légère pression sur le tatami devant elle lui tira un frisson. D'un geste rapide sur le droite, elle esquiva la paume qui visait sa poitrine et, du bras droite, abaissa le bras de son adversaire et le plia de façon à le coincer sous son épaule.
Une fois l'adversaire immobilisé, viser un point sensible.
Elle se tourna légèrement et enfonça deux doigts au niveau des côtes, tirant une hurlement de douleur de la part de son rival.
Incapable de se défendre, le bloquer au sol pour éviter toute riposte.
De son pied droit, elle dégagea celui de adversaire et le fit tomber à plat ventre, le bras toujours coincé sous l'épaule. Il cria et frappa trois fois sur le tatami. Sen lâcha prise et se releva, le visage trempé de sueur, des mèches de cheveux collées contre ses tempes. Elle respira profondément, puis aida le garçon à se relever. Il était plus âgé qu'elle, mais moins expérimenté au combat. A son arrivée au camp, Sen était débutante et ignorait tout ce qu'il fallait savoir. Elle mit presque plus d'un an à rattraper son retard. Non seulement rattraper son retard, mais aussi dépasser la plupart de ses camarades.
Ici, les cours étaient bien plus intéressants qu'à son ancienne école, aussi faisait-elle de son mieux pour réussir. Jirok passait la voir souvent dans ses débuts, puis avait cessé ses visites, voyant qu'il n'avait plus aucune raison de s'inquiéter pour Sen : c'était une élève des plus prometteuses. Il ne doutait pas de son avenir...
Quant aux cours "extérieurs", c'était là où elle excellait. Elle avait découvert des disciplines inconnues et bien plus attrayantes que toutes les autres : la danse, le combat, la méditation, l'escalade, la course...Sen s'était découvert un don pour le sport, et surpassait la plupart de ses camarades de classe. Et quelle fut son agréable surprise lorsqu'elle découvrit que Listair était le principal professeur dans ces matières...
Mais jamais elle ne s'était attendu à une telle surprise, l'année de ses 17 ans...
C'était un jour ensoleillé et chaud. Sen sortait de son cours de combat, s'épongeant le front à l'aide d'une serviette. Même si Listair n'avait pas assuré le cours d'aujourd'hui, son remplaçant lui en avait fait bavé. Alors qu'elle se dirigeait vers les douches, un homme qu'elle reconnut tout de suite se tenait au bout du couloir. Listair! Sen s'arrêta deux secondes, puis s'approcha de lui. Elle s'inclina, comme elle se devait de faire devant un supérieur.
- Bonjour Maitre Listair.
- Bonjour jeune Sen. J'ai une petite surprise pour toi et ton ami Hoan. Suis-moi.
Sen le suivit sans un mot, réfléchissant cependant à toute allure? Une surprise? Elle n'allait tout de même pas...Non, elle n'avait pas encore l'âge. Elle chassa cette idée de son esprit et pensa à Hoan. Il était son meilleur ami. Depuis leur première approche il y avait 7 ans de cela, elle s'était liée d'une amitié très forte pour lui, et ils passaient la plupart de leur temps libre ensemble. Malheureusement, leurs cours ne se déroulaient pas toujours en même temps, et il était rare qu'ils se croisent. Mais à leur plus grand bonheur, la discipline où ils se retrouvaient toujours était le combat, et Hoan se révéla être un aussi bon combattant que son amie. Lui aussi avait beaucoup grandi, et la dépassait maintenant d'une tête. Ses cheveux blonds avaient poussés jusqu'aux épaules, et il aimait porter toute sorte d'accessoire dans ses cheveux, des lunettes, des bonnets, des bandeaux...Sa musculature était impressionnante et il n'en était pas moins agile. Mais ce jour là, lui non plus n'était pas là...
Ils sortirent de la bâtisse et débouchèrent sur les cours, puis se dirigèrent vers l'extérieur du camp.
- Nous...nous sortons? s'exclama Sen.
- Sortir? Tu n'en a pas le droit jeune fille. Non, nous allons au terrain d'entrainement en plein air.
Sen ne comprenait toujours pas mais ne posa plus de questions jusqu'à ce qu'ils arrivant à destination. Là, Sen se figea. Devant elle s'étendait un immense terrain d'entrainement d'au moins une centaine de mètres sur toute la longueur. Et sur la gauche, Hoan, Jirok, et...deux motopulses. Ils étaient à une vingtaine de mètres d'eux, mais Sen les vit immédiatement.
- Qu'est-ce que tu attends? demanda Listair en se tournant vers elle.
- Mais...je...je n'ai pas le droit, balbutia t-elle.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça?
- Il est écrit dans le règlement que voler sur les motopulses ne se fait qu'à la toute dernière année!
- Hormis quelques exceptions. Et vous êtes tous deux des exceptions.
Sen n'en revenait pas. Voler avait toujours été son rêve depuis qu'elle avait quitté son district! Listair la dévisagea avec un léger sourire puis reprit sa marche. Sen dut rattraper son retard en courant. Elle s'inclina devant Jirok et sourit à son meilleur ami, qui lui rendit son sourire. Ils n'eurent pas besoin de prononcer le moindre mot pour sentir leur excitation.
- Bien, maintenant que vous êtes là, nous allons pouvoir commencer. Habituellement, l'apprentissage de la conduite des motopulses ne s'apprend qu'en dernière année, mais nous pouvons faire une exception pour vous. Vous vous êtes révélés bien plus compétents qu'on ne le pensait. Durant vos premières séances, vous n'apprendrez qu'à rouler sur terre, puis quand nous vous jugerons aptes à voler, vous décollerez. Compris?
- Oui Maitre, répondirent-ils en coeur.
- Il y a deux motopulses. Chacun en prendre une et sera accompagné de l'un de nous. Je suppose qu'il nous suffit de garder nos groupes de la dernière fois? dit-il avec un sourire. Hoan...
Le jeune homme hocha la tête, les sourcils légèrement froncés. C'était l'un de ses tics lorsqu'il était concentré. Sen rejoignit Listair, plutôt contente, sans toutefois le montrer.
- Bien, vous monterez devant, et nous derrière, afin que nous puissions vous guider et arrêter l'appareil en cas de problèmes.
Les deux élèves s'exécutèrent. Sen remarqua que sa moto était légèrement plus petite et discrète que celle d'Hoan.
- C'était ma première motopulse, précisa Listair en se postant debout devant elle. Je vais t'expliquer comment la démarrer.
Il sortit un petit objet de sa poche et le lui tendit.
- Ceci est un badge. Chaque motopulse ne démarre qu'avec un seul badge, qu'il faut passer ici. Il actionne le moteur. Voici le cadran et les vitesses. Pour accélérer, tourne vers l'avant, pour freiner vers l'arrière. Si tu tournes cette vitesse-ci, tu enclencheras la vitesse maximale. Pour l'instant, nous éviterons. Si tu veux couper le contact, il te suffit de tourner jusqu'à la vitesse 0. C'est ce que l'on fait lorsque nous volons, avant d'actionner les ailes, en appuyant sur ces boutons. Tu as tout suivi?
Sen hocha la tête. Elle n'avait pas loupé un seul mot.
- Bien. Démarre.
Sen observa le badge avant de le passer devant le cadran. C'était une sorte de pièce noire et lisse où des inscriptions minuscules étaient gravées au dos. Elle le passa devant l'indicateur et la moto se mit à vibrer, comme un animal prêt à charger. Listair grimpa derrière elle et posa ses mains sur le guidon, à côté des siennes.
- Accélère maintenant, mais ne commence pas trop vite.
A ses côtés, Hoan venait de démarrer, et, à voir la réaction immédiate de Jirok, bien trop vite. Le Vatar stoppa tout contact et la motopulse s'arrêta sur le coup. Sen avala sa salive et respira un bon coup, avant de tourner les vitesse en douceur. La motopulse de mit à avancer, un peu brusquement, puis se stabilisa. Listair la fit tourner sur les côtés, faire des arcs de cercle...
- Tu peux accélérer un peu maintenant.
Sen, bien trop heureuse, fut trop généreuse sur les vitesses et fonça à toute allure droit devant elle...vers le précipice.
- Vire à gauche! lui cria Listair en posant ses mains sur les siennes, prêt à prendre les commandes.
Sen obéit et s'exécuta. La motopulse vira à gauche à une telle vitesse qu'elle manqua de se coucher sur le sol, et laissa derrière elle une trace noire sur le sol, pour s'arrêter deux mètres plus loin en grondant.
Le coeur de Sen battait à grands coups dans sa poitrine l'engin se fut immobilisé, et un étrange frisson lui parut l'échine. Un agréable frisson, qui gonfla son corps et son esprit d'adrénaline.
- Tu t'en es plutôt bien sortie pour cette fois, remarqua Listair. Mais tâche de ne pas t'emporter aussi vite la prochaine fois. Continue à faire le tour du terrain.
Sen attendit que le tremblement de ses mains ne cesse avant de reprendre le guidon et de redémarrer. Comme le lui avait demandé Listair, elle fit le tour du terrain à une vitesse raisonnable et régulière. Hoan semblait avoir plus de mal à réguler sa vitesse et Jirok ne cessait d'arrêter l'enfin pour l'obliger à se concentrer.
Au bout d'une heure et demie, la leçon se termina et les deux Vatars leur donnèrent rendez-vous le lendemain soir, au même endroit. Sen et Hoan se dirigèrent tout deux vers leurs dortoirs tout en échangeant leurs premières impressions. La fatigue se fit vite ressentir et ils durent de nouveau se quitter tôt.
Leurs journées étaient de plus en plus chargées et épuisantes, signe que la fin approchait.
Etait-ce un hasard que Listair et Jirok aient voulu commencer leur apprentissage de la motopulse?...
Dernière édition par Maia le 24/6/2021, 13:23, édité 1 fois
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Sen ouvrit les yeux et resta de longues minutes allongée dans son lit en fixant la fenêtre. Le soleil était toujours là et inondait le monde de sa fiévreuse clarté et caressait déjà sa peau matte.
Aujourd'hui, elle avait 19 ans, et ne cessait de changer. Sen n'était plus la petite fille fragile et étourdie qu'elle était lors de sa première rencontre avec Jirok. Aujourd'hui, elle avait l'impression d'être sur le point de réaliser le rêve auquel elle ne cessait de penser depuis ces dix dernières années : devenir Vatar. Et ce jour-là, une sensation étrange étreignait son coeur...
Elle se leva lentement et se vêtit. La sonnerie retentit alors qu'elle sortait de la chambre. Elle rejoignit la cantine et se servit son petit déjeuner, puis s'installa à la table habituelle. Quelques minutes plus tard, un grand gaillard aux cheveux blonds jusqu'aux épaules, une paire de lunettes perchée sur son crâne, retenant les quelques mèches rebelles qui menaçaient de tomber sur son front, vint la rejoindre. Il était vêtu d'un simple débardeur gris et d'un bermuda, qui laissait transparaitre les muscles saillants de son corps. A 19 ans, il en faisait déjà bien plus, et certaines filles le regardaient passer avec de grands yeux. Sen le connaissait depuis presque dix ans, et s'était habituée aux regards insistants des autres filles, qu'elle trouvait plutôt déplacés. Cela l'avait d'abord amusé, et elle aimait le taquiner à propos de cela, mais cela devint vite lassant et elle sut leur faire comprendre. Plus surprenant encore, Hoan ignorait superbement les filles du camp et n'avait pas l'air enthousiaste pour se faire des amis. Sen, depuis son arrivée à Ni Mong, ne s'était pas non plus mêlée aux autres, et la plupart des gens l'évitait, la trouvant trop froide et trop distante, ce qui lui convenait très bien.
- Salut, dit-il dans un bâillement en s'affalant sur une chaise.
Sen leva les yeux aux ciels devant si peu de retenue, avec un sourire.
- Salut. Tu feras attention, ton pantalon doit être troué vu comment celle-la t'a regardé...
Hoan sembla soudain se réveiller et vérifia l'état de son pantalon. Sen éclata de rire et croqua dans un fruit. Le jeune homme lui lança un regard noir et soupira.
- Très marrant, vraiment très marrant.
Sans attendre de réponse, il croqua lui aussi dans une pomme et s'adossa le plus confortablement possible sur le dossier de sa chaise, tout en observant les autres élèves.
- Vérifie ta bretelle, lui recommanda-t-il, ce mec te reluque bizarrement.
- Ça ne marche pas avec moi.
- Je pouvais essayer, répliqua-t-il en souriant. N'empêche que c'est vrai, il te regarde. Tu ne te rends même pas compte du nombre de garçons qui te regardent toi aussi.
Sen battit de la main comme pour chasser une mouche. Qu'un garçon la regarde ou pas, elle n'en avait rien à faire. Elle avait bien d'autre chose à penser...Comme la raison pour laquelle Listair et Jirok s'approchaient dans leur direction. Sen se redressa lentement et fit un geste du menton à Hoan qui se redressa immédiatement. Les deux Vatars les saluèrent brièvement et les invitèrent à les suivre, dans le silence presque total qui était tombé dans la salle. Sous les regards étonnés des autres élèves et de leurs murmures. Sen sentit ses mains devenir moites. La sensation oppressante qui l'étreignait depuis ce matin n'était donc pas une illusion?
Ils traversèrent plusieurs couloirs puis s'arrêtèrent devant deux portes. A en juger par leurs plaques, surement des bureaux.
- Il nous faut vous parler en privé, déclara alors Jirok. Hoan, tu me suis.
Sans un mot de plus, Jirok entra dans la premier bureau, suivit de près par Hoan, qui jeta un coup d'oeil à Sen avant de disparaitre. Listair rentra dans l'autre bureau et Sen lui emboita le pas.
Elle ne s'était pas trompée, elle était dans un bureau. Listair s'appuya contre le bureau et invita Sen à s'asseoir sur le fauteuil en cuir bleu marine en face de lui. Sen serait volontiers restée là où elle était, mais obéit. Une goutte de sueur perla sa nuque.
Listair posa son regard bleu-gris sur elle et resta là, à l'observer, pendant presque une minute. A la lumière tamisée de la pièce, ses cheveux prenaient une teinte légèrement grise et les marques de sa peau luisaient d'un éclat argenté. Sen avala sa salive.
- Nous avons décidé de vous soumettre a la Chambre.
Sen eut l'impression qu'on lui versait un seau d'eau glacée sur le corps, et ferma les yeux une seconde. La Chambre...Cela voulait donc dire que...
- Si la Chambre reconnait vos capacités, vous accéderez à la Vatarstasis.
- Et...dans le cas contraire? murmura-t-elle.
- Il n'y aura pas de cas contraire, répondit-il aussitôt. Sen, tu as beaucoup de capacités, bien plus que certains Vatars d'ailleurs. Tu ne peux échouer.
Sen ne savait que penser. Maintenant qu'elle y pensait, elle connaissait Listair depuis longtemps maintenant, et il avait toujours été là pour l'aider et pour la guider sur la voie. Aujourd'hui, c'était lui qui lui annonçait son passage devant la Chambre.
- Quand passons-nous?
- Ce soir.
Sen était rassurée d'une chose : Hoan passait lui aussi devant la Chambre, et pourrait lui aussi accéder à la Tarsis. Elle s'était promis de rester à ses côtés...Listair s'approcha et s'accroupit devant elle.
- Je serai ton Annonciateur. Chaque élève qui se présente devant la Chambre doit être accompagné. C'est avec cet Annonciateur que tu feras tes premiers pas en tant que Vatar. Tu as bien sur le choix de ne pas accepter ma proposition.
- Non, j'accepte.
Listair sourit.
- Ce soir, tu devras démontrer tes capacités. Les tests commenceront à partir de 19h00. Le premier sera un test de Danse, le deuxième d'arts du combat, le troisième d'escalade, le quatrième de course, et le cinquième de motopulse.
- Autant de tests en si peu de temps?! Mais...ça relève de l'impossible!
- C'est la clé de la réussite Sen. Tu devras découvrir toi-même ce qui te permettra de réussir. Je sais que tu en es capable.
Sen ouvrit la bouche, puis la referma. Comment douter des paroles de Listair?
-Tu as l'après-midi de libre. Fais en bon usage.
Il était 19h00.
Sen, accompagnée de Listair, pénétrèrent dans la grande salle où elle serait jugée. Le temps semblait s'être ralenti. Elle pouvait voir les regards de tout ces Vatars, accompagnant leurs élèves en tant qu'Annonciateurs, posés sur elle et sur Listair. Elle pouvait lire sur leurs lèvres. Elle pouvait voir l'inquiétude et l'angoisse sur les visages pâles des jeunes gens, assis dans les gradins. Sur sa droite, un homme et une femme d'une cinquantaine d'années discutaient, assis sur de hautes chaises en argent. Listair la poussa légèrement en avant, là où Sen aperçut Hoan et Jirok. Ils les rejoignirent en silence. Sen s'assit à côté de son ami, soulagée de le voir tout aussi anxieux qu'elle. Dès que les deux inconnus sur leurs chaises se turent, le silence se fit dans la foule. Lorsqu'ils prirent la parole, leur voix résonna avec puissance dans la salle :
- Chers amis, le temps est venu de faire l'appel. Lorsque nous vous appellerons, veuillez venir vous présenter.
Ainsi, il appelèrent les élèves un par un, lorsque ce fut le tour de Sen. Listair lui murmura un mot à l'oreille, qu'elle ne comprit pas, et la poussa du doigt. Elle se leva lentement et s'approcha, entendant le bruit de ses pas sur le sol aussi bien que les battements frénétiques de son coeur. Elle se posta devant les chaises, comme l'avaient fait les autres avant elle, et attendit qu'on l'interroge.
- Ton nom entier s'il te plait.
- Senyara Mîn.
- Ton âge.
- 19 ans.
- Ton Annonciateur.
- Listair Kelvar.
- Ton arrivée ici.
- Il y a 9 ans.
- Bien, passe la porte, et bonne chance.
Sen s'inclina et s'exécuta, sans oser croiser le regard de ses amis. Elle ouvrit la porte au fond de la salle et entra dans une nouvelle salle immense. Ce n'était pas une salle, mais une véritable arène qui se trouvait là. Une piste de course, des murs d'escalades, et au loin, des motopulses. Alors qu'elle s'attardait sur les élèves qui passaient leurs épreuves, une femme vint l'accoster. Jamais Sen n'avait vu plus belle femme de sa vie. Des cheveux d'un noir de jais, un foulard sur le haut du crâne, elle avait un air sauvage qui lui saillait à merveille. Son regard de nuit s'accordaient parfaitement avec les marques sombres sur son visage, luisant d'un éclat argenté. Elle détailla la nouvelle arrivante avec attention, tout en mâchonnant un bâtonnet.
- Tu dois être Senyara?
- Oui Madame.
- Je serai ton juge. Mon nom est Linva. Décline le nom de ton Annonciateur.
- Listair Kelvar.
Linva releva la tête et dévisagea Sen d'une drôle de façon, avant de sourire, dévoilant de parfaites dents blanches.
- Listair, voyez-vous ça...Quel âge as-tu?
- J'ai 19 ans.
Linva hocha plusieurs fois la tête sans la quitter des yeux, puis lui demanda de la suivre vers la une autre pièce. De la taille d'un gymnase, le sol couvert de fins tapins beiges, plutôt sombre, elle se révéla être la salle de Danse. Linva s'approcha vers le bout des tapis et s'installa en tailleur tout en griffonnant sur quelques feuilles en papier. Lorsqu'elle releva la tête, demanda à Sen de s'installer sur les tapis devant elle.
- Ce test est surement le plus décisif si tu veux pouvoir accéder à la Maitrise des quatre éléments durant la Tarsis. C'est pourquoi je veux que tu me fasses les Quatre Danses. Tu as tout l'espace pour toi, et quinze minutes devant toi, pas une de plus. Tu peux commencer.
Sen, debout au milieu des tatamis, ferma les yeux et inspira profondément. Elle excellait dans la Danse des éléments. La Danse était pour elle un moyen d'accéder à un autre monde, un monde intérieur qu'elle effleurait du bout des doigts à chaque fois qu'elle était Feu, Air, Terre ou Eau. Chaque danse était une délivrance, un supplice, une élévation à un stade supérieur dépassant de loin son propre esprit. Lorsqu'elle dansait, elle n'était plus là, mais bien plus haut, bien plus loin.
Au premier son qu'elle entendit, son corps se mit à onduler comme un serpent, les bras croisés contre sa poitrine. Dans son esprit, le doux son d'une goutte d'eau se fit entendre. Qui devint cascade. Sen ouvrit les bras, les referma contre son corps, tourna sur elle-même, serpenta sur les tapis, puis se stoppa lentement, comme si elle flottait. Puis vint le Feu. Une fiévreuse ardeur s'empara de son corps et de son âme. Elle fendait l'air de ses bras et de ses jambes, se courbait, roulait, se relevait, tel un feu follet. Sa peau ruisselait, ses cheveux collaient contre ses tempes, son maillot était trempé. L'Air étouffa bientôt le Feu. Sen enflait telle une tornade, jouant de ses pieds et de ses mains pour créer un vent invisible. Elle tournoyait sans cesse, sautait en l'air, pliait les jambes. L'Air se heurta à la Terre. Ses pieds heurtèrent le sol avec violence, ses poings fendaient l'air avec férocité, sa jambe heurta un mur invisible puis tourna, l'autre l'imita. Ses mains effleurèrent à peine le sol qu'elle tournoyait en l'air. Puis s'immobilisa, accroupie et haletante. Elle attendit une minute entière avant de rouvrir les yeux et de se relever, lentement. Linva posa sur elle un regard indéchiffrable, puis inclina légèrement la tête.
- Bien. Suis-moi pour le second test, déclara-t-elle simplement.
Sen attrapa au vol la bouteille d'eau et la serviette qu'elle lui lança, et s'épongea le front en courant à sa suite. Étrangement, elle n'était pas fatiguée. Juste...agitée. Elles revinrent dans l'immense arène et se dirigèrent vers une salle à côté, où entra un autre jeune homme et son juge, un Vatar à l'allure sévère aux tatouages gris. La pièce était à peu de chose près identique à celle qu'elles venaient de quitter. Linva et l'autre juge s'installèrent aux deux extrémités opposées des tapis, et appelèrent leur élève. La Vatar pencha son visage vers Sen.
- Le but de ce test est simplement de mettre à terre ton adversaire et de l'immobiliser plus de cinq secondes. Si tu réussi, tu remportes le test.
- Mais si je gagne...l'autre perd? C'est injuste!
- C'est le jeu. En place.
Sen voulut répliquer puis se détourna, furieuse. Comment pouvaient-ils laisser passer une telle chose? Le fait qu'elle remporte l'épreuve ôterait automatiquement à l'autre la chance de le réussir. C'était inadmissible, et pourtant obligatoire. Sen devait gagner, elle n'avait pas le choix...
Les deux élèves se placèrent l'un en face de l'autre. Sen le détailla avec attention. Bon maintien, bon ancrage dans le sol, placé à une distance stratégique. Il serait difficile de le faire tomber.
- Vous pouvez commencer.
Les deux élèves s'étudiaient méticuleusement, et le jeune homme semblait avoir deviné que Sen était une bonne combattante, voire aussi bonne que lui. Il attendit donc qu'elle attaque la première. Ce qu'elle fit au moment même où il le souhaitait. Elle fondit sur lui, le buste courbé, paumes en avant. Il esquiva facilement le premier coup, avec plus de mal le second. Mais elle était à sa portée à présent, et étant de dos, elle ne pourrait lui échapper. Il fit volte face et abattit le tranchant de sa main en plein milieu du dos de Sen, qui s'écroula sur le sol.
Qui fit mine de s'écrouler sur le sol.
Elle avait vu la main de son adversaire, et à peine effleura-t-elle son dos qu'elle suivit le coup, courbant son dos de façon à ce qu'elle ne reçoive aucun dommage grave. Une fois au sol, alors qu'il se penchait sur elle pour l'immobiliser, elle roula sur elle-même et enserra ses jambes autour du cou du garçon et le fit voler par dessus-elle. Dès qu'il entra en contact avec le sol, sans déserrer son emprise, elle tordit son bras gauche de façon à lui ôter toute chance de se relever.
1...2...3...4...5...6.
Elle lâcha tout et se releva en inspirant profondément, essuyant la sueur de son front d'un revers de main. Linva se leva et s'approcha d'elle avec un sourire satisfait, sans jeter un regard au jeune à terre, qui se massait l'épaule.
- Deuxième test terminé.
Puis elle sortit de la pièce. Le troisième test était celui d'escalade. Sen n'avait pas de problèmes dans ce domaine, sans pour autant y exceller. Après s'être reposée le temps que Linva discute avec un autre Vatar, et de se désaltérer quelque peu, elle dut commencer. Le but était de monter et de redescendre le mur en une minute. Sen s'empara de la prise la plus haute et se tracta à un mètre du sol. Telle une araignée, elle franchit le mur, enfonçant la pointe de ses pieds dans d'étroites cavités, agrippaient ses doigts dans les interstices, et progressait toujours, tout en comptant. Lorsqu'elle atteignit le haut du mur, 37 secondes étaient passées. Ne se permettant pas une seule seconde de répit, elle entama la descente, manquant à plusieurs reprises de tomber, se raccrochant au dernier moment aux prises les plus visibles.
Elle toucha la terre ferme quatre secondes avant le temps imparti, respirant avec de plus en plus de mal. Elle était épuisée, son corps était engourdi, ses muscles douloureux. Linva revint vers elle, la félicita puis passa au terrain de course, le quatrième et avant-dernier test. L'exercice se divisait en deux parties : la première, de vingt minutes, durant laquelle l'élève devait courir à une allure régulière et sans arrêt. La deuxième, faire le tour du terrain en une minutes. Et cette fois-ci encore, bien qu'avec beaucoup plus de mal, Sen termina le test. Elle en sortit exténuée, la poitrine endolorie sous les battements furieux de son coeur. Le seul réconfort qu'elle avait était sa gourde d'eau, qu'elle ne cessait de porter à sa bouche.
Il ne restait à présent plus que le test de motopulse. Sen savait que si elle échouait, tout s'écroulerait pour elle. Ces dix années n'auraient servit à rien, et elle retournerait chez elle les mains vides, effondrée.
Mais elle n'échouerait pas. Sen le savait à présent. Jamais elle n'avait été aussi sûre d'elle qu'à cet instant. La motopulse était l'une de ses matières préférées, celle qui lui offrait une liberté dépassant de loin toute les autres, celle de voler, de s'élever vers d'autres cieux et voir le monde d'une toute autre manière. Oui, elle en était certaine, elle n'échouerait pas.
Les deux filles s'approchèrent des motopulses et Sen reconnut celle avec laquelle elle s'était toujours entrainée, la première moto de Listair. Avec un plaisir qu'elle ne cherche pas à masquer, elle s'installa sans qu'on lui demande et sortit son badge. Linva rit.
- Tu n'auras malheureusement pas le plaisir de voler à l'air libre pour cette fois-ci. Pour cet exercice, tu devras effectuer le parcours suivant, dit-elle en lui montrant un autre terrain sur la gauche, bosselé et rempli d'obstacles, puis voler et effectuer les figures apprises avec ton professeur. Je jugerai si tu as le potentiel pour conduire cet engin.
Sen acquiesça et démarra la motopulse en passant le badge devant le cadran noir. Elle se mit à vibrer, et un frisson d'excitation parcourut l'échine de la jeune fille. Elle avança lentement jusqu'au terrain et se plaça là où il le fallait, attendant le coup de sifflet de Linva. A peine avait-il retentit qu'elle s'élança.
La première bosse fut rude et elle retomba violemment, trop violemment sur le sol, sans pour autant s'arrêter. La motopulse gronda et continua sur sa lancée, grimpa le long d'une bosse et vola à plus d'un mètre du sol. Cette fois-ci, Sen vira sur la gauche et ralentit assez pour que l'engin atterrisse dans un dérapage parfaitement contrôlé. Elle termina ainsi le parcours en moins de dix minutes, puis revint en direction de Linva, qui n'émit aucun commentaire.
Le deuxième coup de sifflet retentit, et Sen démarra de nouveau la moto, à toute vitesse cette-fois. Elle se braqua légèrement en arrière et enclencha la vitesse maximale, qui la propulsa en l'air, où elle exécuta une boucle quelque peu maladroite. Elle fit le tour de l'arène, volant au dessus de tout ces autres élèves qui prétendaient au statut de Vatar. Puis elle coupa les vitesses et appuya sur le bouton rouge devant elle. Deux ailes d'1m30 chacune se déployèrent de chaque côté de la motopulse, identiques aux membranes translucides d'un reptile. Elle plana ainsi pendant de longues minutes, guidant la motopulse comme elle pouvait dans l'espace cloitré qu'était l'arène, puis augmenta la vitesse, sinuant entre les pilliers ou se renversant. Une fois sa démonstration faite, elle rétracta les ailes et redescendit vers Linva et coupa le moteur.
Une drôle de sensation envahit sous corps tout à coup, comme si on venait de lui jeter un seau d'eau froide. De désagréables frissons parcouraient sa peau et son front était perlé de sueur, ses cheveux collant contre ses tempes.
- Jeune Sen, tu as passé tout tes tests avec courage et talent. Aussi je te demanderai de m'accompagner jusque dans la grande salle, où tu recevras tes résultats.
Sen s'inclina et la suivit sans un mot, la tête baissée sur le sol. Elle ne se rendit même pas compte qu'elle venait de revenir dans la grande salle où attendaient de nombreux élèves et...Listair. A son arrivée, il se leva. Sen admira encore sa prestance, sa grâce, sa longue et fine silhouette, ressemblant à celle d'un chat. Lorsqu'elle arriva jusqu'à lui, il l'observa avec attention sans dire un mot, puis tourna les yeux vers Linva avant de hocher imperceptiblement la tête. Sen sentit sa gorge se nouer. Pourquoi avait-elle si peur?
Linva s'éloigna et rejoignit les deux vatarans au centre de l'auditoire. Une dizaine d'autres Vatars étaient là. Listair, se rassit, et obligea son élève à l'imiter, toujours silencieux.
Hoan apparut alors à son tour, ruisselant de sueur, les sourcils froncés, comme à son habitude lorsqu'il était concentré. Le Vatar qui l'accompagnait rejoignit les autres et Hoan revint s'assoir à côté de Sen en essuyant son visage. Jirok n'avait pas plus bougé que son collègue.
Près de dix minutes plus tard, les derniers élèves revenaient et il ne restait bientôt plus personne sur les terrains. Une trentaine de Vatar se tenaient fièrement au centre de la chambre, et les élèves, pâles, tremblaient d'impatience.
Un par un, ils se levèrent en entendant leur nom, accompagné de leur Annonciateur, et recevait leurs résultats. Lorsque le nom de Sen résonna dans la salle, Listair dut la pousser en avant pour qu'elle ose se lever. Les douleurs de son corps se réveillèrent avec violence, manquant de la faire tomber. Une fois devant l'auditoire, Linva s'approcha, une feuille de papier dans la main. Elle plongea son regard sombre dans celui de Sen, puis sourit largement :
- Bravo à toi jeune Sen, tu es acceptée. Puisses-tu réussir ce que tu entreprendras, et devenir une Vatar digne de ce nom.
Sen s'empara d'une main tremblante de la feuille que lui tendait Linva, les larmes aux yeux. Derrière elle, Listair posa une main sur son épaule, plus douce qu'elle ne l'avait jamais été. Sen ne put le regarder en face, les larmes coulant sur ses joues. Cette main posée sur son épaule était le signe de la plus sincère des fiertés.
Aujourd'hui, elle avait 19 ans, et ne cessait de changer. Sen n'était plus la petite fille fragile et étourdie qu'elle était lors de sa première rencontre avec Jirok. Aujourd'hui, elle avait l'impression d'être sur le point de réaliser le rêve auquel elle ne cessait de penser depuis ces dix dernières années : devenir Vatar. Et ce jour-là, une sensation étrange étreignait son coeur...
Elle se leva lentement et se vêtit. La sonnerie retentit alors qu'elle sortait de la chambre. Elle rejoignit la cantine et se servit son petit déjeuner, puis s'installa à la table habituelle. Quelques minutes plus tard, un grand gaillard aux cheveux blonds jusqu'aux épaules, une paire de lunettes perchée sur son crâne, retenant les quelques mèches rebelles qui menaçaient de tomber sur son front, vint la rejoindre. Il était vêtu d'un simple débardeur gris et d'un bermuda, qui laissait transparaitre les muscles saillants de son corps. A 19 ans, il en faisait déjà bien plus, et certaines filles le regardaient passer avec de grands yeux. Sen le connaissait depuis presque dix ans, et s'était habituée aux regards insistants des autres filles, qu'elle trouvait plutôt déplacés. Cela l'avait d'abord amusé, et elle aimait le taquiner à propos de cela, mais cela devint vite lassant et elle sut leur faire comprendre. Plus surprenant encore, Hoan ignorait superbement les filles du camp et n'avait pas l'air enthousiaste pour se faire des amis. Sen, depuis son arrivée à Ni Mong, ne s'était pas non plus mêlée aux autres, et la plupart des gens l'évitait, la trouvant trop froide et trop distante, ce qui lui convenait très bien.
- Salut, dit-il dans un bâillement en s'affalant sur une chaise.
Sen leva les yeux aux ciels devant si peu de retenue, avec un sourire.
- Salut. Tu feras attention, ton pantalon doit être troué vu comment celle-la t'a regardé...
Hoan sembla soudain se réveiller et vérifia l'état de son pantalon. Sen éclata de rire et croqua dans un fruit. Le jeune homme lui lança un regard noir et soupira.
- Très marrant, vraiment très marrant.
Sans attendre de réponse, il croqua lui aussi dans une pomme et s'adossa le plus confortablement possible sur le dossier de sa chaise, tout en observant les autres élèves.
- Vérifie ta bretelle, lui recommanda-t-il, ce mec te reluque bizarrement.
- Ça ne marche pas avec moi.
- Je pouvais essayer, répliqua-t-il en souriant. N'empêche que c'est vrai, il te regarde. Tu ne te rends même pas compte du nombre de garçons qui te regardent toi aussi.
Sen battit de la main comme pour chasser une mouche. Qu'un garçon la regarde ou pas, elle n'en avait rien à faire. Elle avait bien d'autre chose à penser...Comme la raison pour laquelle Listair et Jirok s'approchaient dans leur direction. Sen se redressa lentement et fit un geste du menton à Hoan qui se redressa immédiatement. Les deux Vatars les saluèrent brièvement et les invitèrent à les suivre, dans le silence presque total qui était tombé dans la salle. Sous les regards étonnés des autres élèves et de leurs murmures. Sen sentit ses mains devenir moites. La sensation oppressante qui l'étreignait depuis ce matin n'était donc pas une illusion?
Ils traversèrent plusieurs couloirs puis s'arrêtèrent devant deux portes. A en juger par leurs plaques, surement des bureaux.
- Il nous faut vous parler en privé, déclara alors Jirok. Hoan, tu me suis.
Sans un mot de plus, Jirok entra dans la premier bureau, suivit de près par Hoan, qui jeta un coup d'oeil à Sen avant de disparaitre. Listair rentra dans l'autre bureau et Sen lui emboita le pas.
Elle ne s'était pas trompée, elle était dans un bureau. Listair s'appuya contre le bureau et invita Sen à s'asseoir sur le fauteuil en cuir bleu marine en face de lui. Sen serait volontiers restée là où elle était, mais obéit. Une goutte de sueur perla sa nuque.
Listair posa son regard bleu-gris sur elle et resta là, à l'observer, pendant presque une minute. A la lumière tamisée de la pièce, ses cheveux prenaient une teinte légèrement grise et les marques de sa peau luisaient d'un éclat argenté. Sen avala sa salive.
- Nous avons décidé de vous soumettre a la Chambre.
Sen eut l'impression qu'on lui versait un seau d'eau glacée sur le corps, et ferma les yeux une seconde. La Chambre...Cela voulait donc dire que...
- Si la Chambre reconnait vos capacités, vous accéderez à la Vatarstasis.
- Et...dans le cas contraire? murmura-t-elle.
- Il n'y aura pas de cas contraire, répondit-il aussitôt. Sen, tu as beaucoup de capacités, bien plus que certains Vatars d'ailleurs. Tu ne peux échouer.
Sen ne savait que penser. Maintenant qu'elle y pensait, elle connaissait Listair depuis longtemps maintenant, et il avait toujours été là pour l'aider et pour la guider sur la voie. Aujourd'hui, c'était lui qui lui annonçait son passage devant la Chambre.
- Quand passons-nous?
- Ce soir.
Sen était rassurée d'une chose : Hoan passait lui aussi devant la Chambre, et pourrait lui aussi accéder à la Tarsis. Elle s'était promis de rester à ses côtés...Listair s'approcha et s'accroupit devant elle.
- Je serai ton Annonciateur. Chaque élève qui se présente devant la Chambre doit être accompagné. C'est avec cet Annonciateur que tu feras tes premiers pas en tant que Vatar. Tu as bien sur le choix de ne pas accepter ma proposition.
- Non, j'accepte.
Listair sourit.
- Ce soir, tu devras démontrer tes capacités. Les tests commenceront à partir de 19h00. Le premier sera un test de Danse, le deuxième d'arts du combat, le troisième d'escalade, le quatrième de course, et le cinquième de motopulse.
- Autant de tests en si peu de temps?! Mais...ça relève de l'impossible!
- C'est la clé de la réussite Sen. Tu devras découvrir toi-même ce qui te permettra de réussir. Je sais que tu en es capable.
Sen ouvrit la bouche, puis la referma. Comment douter des paroles de Listair?
-Tu as l'après-midi de libre. Fais en bon usage.
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Il était 19h00.
Sen, accompagnée de Listair, pénétrèrent dans la grande salle où elle serait jugée. Le temps semblait s'être ralenti. Elle pouvait voir les regards de tout ces Vatars, accompagnant leurs élèves en tant qu'Annonciateurs, posés sur elle et sur Listair. Elle pouvait lire sur leurs lèvres. Elle pouvait voir l'inquiétude et l'angoisse sur les visages pâles des jeunes gens, assis dans les gradins. Sur sa droite, un homme et une femme d'une cinquantaine d'années discutaient, assis sur de hautes chaises en argent. Listair la poussa légèrement en avant, là où Sen aperçut Hoan et Jirok. Ils les rejoignirent en silence. Sen s'assit à côté de son ami, soulagée de le voir tout aussi anxieux qu'elle. Dès que les deux inconnus sur leurs chaises se turent, le silence se fit dans la foule. Lorsqu'ils prirent la parole, leur voix résonna avec puissance dans la salle :
- Chers amis, le temps est venu de faire l'appel. Lorsque nous vous appellerons, veuillez venir vous présenter.
Ainsi, il appelèrent les élèves un par un, lorsque ce fut le tour de Sen. Listair lui murmura un mot à l'oreille, qu'elle ne comprit pas, et la poussa du doigt. Elle se leva lentement et s'approcha, entendant le bruit de ses pas sur le sol aussi bien que les battements frénétiques de son coeur. Elle se posta devant les chaises, comme l'avaient fait les autres avant elle, et attendit qu'on l'interroge.
- Ton nom entier s'il te plait.
- Senyara Mîn.
- Ton âge.
- 19 ans.
- Ton Annonciateur.
- Listair Kelvar.
- Ton arrivée ici.
- Il y a 9 ans.
- Bien, passe la porte, et bonne chance.
Sen s'inclina et s'exécuta, sans oser croiser le regard de ses amis. Elle ouvrit la porte au fond de la salle et entra dans une nouvelle salle immense. Ce n'était pas une salle, mais une véritable arène qui se trouvait là. Une piste de course, des murs d'escalades, et au loin, des motopulses. Alors qu'elle s'attardait sur les élèves qui passaient leurs épreuves, une femme vint l'accoster. Jamais Sen n'avait vu plus belle femme de sa vie. Des cheveux d'un noir de jais, un foulard sur le haut du crâne, elle avait un air sauvage qui lui saillait à merveille. Son regard de nuit s'accordaient parfaitement avec les marques sombres sur son visage, luisant d'un éclat argenté. Elle détailla la nouvelle arrivante avec attention, tout en mâchonnant un bâtonnet.
- Tu dois être Senyara?
- Oui Madame.
- Je serai ton juge. Mon nom est Linva. Décline le nom de ton Annonciateur.
- Listair Kelvar.
Linva releva la tête et dévisagea Sen d'une drôle de façon, avant de sourire, dévoilant de parfaites dents blanches.
- Listair, voyez-vous ça...Quel âge as-tu?
- J'ai 19 ans.
Linva hocha plusieurs fois la tête sans la quitter des yeux, puis lui demanda de la suivre vers la une autre pièce. De la taille d'un gymnase, le sol couvert de fins tapins beiges, plutôt sombre, elle se révéla être la salle de Danse. Linva s'approcha vers le bout des tapis et s'installa en tailleur tout en griffonnant sur quelques feuilles en papier. Lorsqu'elle releva la tête, demanda à Sen de s'installer sur les tapis devant elle.
- Ce test est surement le plus décisif si tu veux pouvoir accéder à la Maitrise des quatre éléments durant la Tarsis. C'est pourquoi je veux que tu me fasses les Quatre Danses. Tu as tout l'espace pour toi, et quinze minutes devant toi, pas une de plus. Tu peux commencer.
Sen, debout au milieu des tatamis, ferma les yeux et inspira profondément. Elle excellait dans la Danse des éléments. La Danse était pour elle un moyen d'accéder à un autre monde, un monde intérieur qu'elle effleurait du bout des doigts à chaque fois qu'elle était Feu, Air, Terre ou Eau. Chaque danse était une délivrance, un supplice, une élévation à un stade supérieur dépassant de loin son propre esprit. Lorsqu'elle dansait, elle n'était plus là, mais bien plus haut, bien plus loin.
Au premier son qu'elle entendit, son corps se mit à onduler comme un serpent, les bras croisés contre sa poitrine. Dans son esprit, le doux son d'une goutte d'eau se fit entendre. Qui devint cascade. Sen ouvrit les bras, les referma contre son corps, tourna sur elle-même, serpenta sur les tapis, puis se stoppa lentement, comme si elle flottait. Puis vint le Feu. Une fiévreuse ardeur s'empara de son corps et de son âme. Elle fendait l'air de ses bras et de ses jambes, se courbait, roulait, se relevait, tel un feu follet. Sa peau ruisselait, ses cheveux collaient contre ses tempes, son maillot était trempé. L'Air étouffa bientôt le Feu. Sen enflait telle une tornade, jouant de ses pieds et de ses mains pour créer un vent invisible. Elle tournoyait sans cesse, sautait en l'air, pliait les jambes. L'Air se heurta à la Terre. Ses pieds heurtèrent le sol avec violence, ses poings fendaient l'air avec férocité, sa jambe heurta un mur invisible puis tourna, l'autre l'imita. Ses mains effleurèrent à peine le sol qu'elle tournoyait en l'air. Puis s'immobilisa, accroupie et haletante. Elle attendit une minute entière avant de rouvrir les yeux et de se relever, lentement. Linva posa sur elle un regard indéchiffrable, puis inclina légèrement la tête.
- Bien. Suis-moi pour le second test, déclara-t-elle simplement.
Sen attrapa au vol la bouteille d'eau et la serviette qu'elle lui lança, et s'épongea le front en courant à sa suite. Étrangement, elle n'était pas fatiguée. Juste...agitée. Elles revinrent dans l'immense arène et se dirigèrent vers une salle à côté, où entra un autre jeune homme et son juge, un Vatar à l'allure sévère aux tatouages gris. La pièce était à peu de chose près identique à celle qu'elles venaient de quitter. Linva et l'autre juge s'installèrent aux deux extrémités opposées des tapis, et appelèrent leur élève. La Vatar pencha son visage vers Sen.
- Le but de ce test est simplement de mettre à terre ton adversaire et de l'immobiliser plus de cinq secondes. Si tu réussi, tu remportes le test.
- Mais si je gagne...l'autre perd? C'est injuste!
- C'est le jeu. En place.
Sen voulut répliquer puis se détourna, furieuse. Comment pouvaient-ils laisser passer une telle chose? Le fait qu'elle remporte l'épreuve ôterait automatiquement à l'autre la chance de le réussir. C'était inadmissible, et pourtant obligatoire. Sen devait gagner, elle n'avait pas le choix...
Les deux élèves se placèrent l'un en face de l'autre. Sen le détailla avec attention. Bon maintien, bon ancrage dans le sol, placé à une distance stratégique. Il serait difficile de le faire tomber.
- Vous pouvez commencer.
Les deux élèves s'étudiaient méticuleusement, et le jeune homme semblait avoir deviné que Sen était une bonne combattante, voire aussi bonne que lui. Il attendit donc qu'elle attaque la première. Ce qu'elle fit au moment même où il le souhaitait. Elle fondit sur lui, le buste courbé, paumes en avant. Il esquiva facilement le premier coup, avec plus de mal le second. Mais elle était à sa portée à présent, et étant de dos, elle ne pourrait lui échapper. Il fit volte face et abattit le tranchant de sa main en plein milieu du dos de Sen, qui s'écroula sur le sol.
Qui fit mine de s'écrouler sur le sol.
Elle avait vu la main de son adversaire, et à peine effleura-t-elle son dos qu'elle suivit le coup, courbant son dos de façon à ce qu'elle ne reçoive aucun dommage grave. Une fois au sol, alors qu'il se penchait sur elle pour l'immobiliser, elle roula sur elle-même et enserra ses jambes autour du cou du garçon et le fit voler par dessus-elle. Dès qu'il entra en contact avec le sol, sans déserrer son emprise, elle tordit son bras gauche de façon à lui ôter toute chance de se relever.
1...2...3...4...5...6.
Elle lâcha tout et se releva en inspirant profondément, essuyant la sueur de son front d'un revers de main. Linva se leva et s'approcha d'elle avec un sourire satisfait, sans jeter un regard au jeune à terre, qui se massait l'épaule.
- Deuxième test terminé.
Puis elle sortit de la pièce. Le troisième test était celui d'escalade. Sen n'avait pas de problèmes dans ce domaine, sans pour autant y exceller. Après s'être reposée le temps que Linva discute avec un autre Vatar, et de se désaltérer quelque peu, elle dut commencer. Le but était de monter et de redescendre le mur en une minute. Sen s'empara de la prise la plus haute et se tracta à un mètre du sol. Telle une araignée, elle franchit le mur, enfonçant la pointe de ses pieds dans d'étroites cavités, agrippaient ses doigts dans les interstices, et progressait toujours, tout en comptant. Lorsqu'elle atteignit le haut du mur, 37 secondes étaient passées. Ne se permettant pas une seule seconde de répit, elle entama la descente, manquant à plusieurs reprises de tomber, se raccrochant au dernier moment aux prises les plus visibles.
Elle toucha la terre ferme quatre secondes avant le temps imparti, respirant avec de plus en plus de mal. Elle était épuisée, son corps était engourdi, ses muscles douloureux. Linva revint vers elle, la félicita puis passa au terrain de course, le quatrième et avant-dernier test. L'exercice se divisait en deux parties : la première, de vingt minutes, durant laquelle l'élève devait courir à une allure régulière et sans arrêt. La deuxième, faire le tour du terrain en une minutes. Et cette fois-ci encore, bien qu'avec beaucoup plus de mal, Sen termina le test. Elle en sortit exténuée, la poitrine endolorie sous les battements furieux de son coeur. Le seul réconfort qu'elle avait était sa gourde d'eau, qu'elle ne cessait de porter à sa bouche.
Il ne restait à présent plus que le test de motopulse. Sen savait que si elle échouait, tout s'écroulerait pour elle. Ces dix années n'auraient servit à rien, et elle retournerait chez elle les mains vides, effondrée.
Mais elle n'échouerait pas. Sen le savait à présent. Jamais elle n'avait été aussi sûre d'elle qu'à cet instant. La motopulse était l'une de ses matières préférées, celle qui lui offrait une liberté dépassant de loin toute les autres, celle de voler, de s'élever vers d'autres cieux et voir le monde d'une toute autre manière. Oui, elle en était certaine, elle n'échouerait pas.
Les deux filles s'approchèrent des motopulses et Sen reconnut celle avec laquelle elle s'était toujours entrainée, la première moto de Listair. Avec un plaisir qu'elle ne cherche pas à masquer, elle s'installa sans qu'on lui demande et sortit son badge. Linva rit.
- Tu n'auras malheureusement pas le plaisir de voler à l'air libre pour cette fois-ci. Pour cet exercice, tu devras effectuer le parcours suivant, dit-elle en lui montrant un autre terrain sur la gauche, bosselé et rempli d'obstacles, puis voler et effectuer les figures apprises avec ton professeur. Je jugerai si tu as le potentiel pour conduire cet engin.
Sen acquiesça et démarra la motopulse en passant le badge devant le cadran noir. Elle se mit à vibrer, et un frisson d'excitation parcourut l'échine de la jeune fille. Elle avança lentement jusqu'au terrain et se plaça là où il le fallait, attendant le coup de sifflet de Linva. A peine avait-il retentit qu'elle s'élança.
La première bosse fut rude et elle retomba violemment, trop violemment sur le sol, sans pour autant s'arrêter. La motopulse gronda et continua sur sa lancée, grimpa le long d'une bosse et vola à plus d'un mètre du sol. Cette fois-ci, Sen vira sur la gauche et ralentit assez pour que l'engin atterrisse dans un dérapage parfaitement contrôlé. Elle termina ainsi le parcours en moins de dix minutes, puis revint en direction de Linva, qui n'émit aucun commentaire.
Le deuxième coup de sifflet retentit, et Sen démarra de nouveau la moto, à toute vitesse cette-fois. Elle se braqua légèrement en arrière et enclencha la vitesse maximale, qui la propulsa en l'air, où elle exécuta une boucle quelque peu maladroite. Elle fit le tour de l'arène, volant au dessus de tout ces autres élèves qui prétendaient au statut de Vatar. Puis elle coupa les vitesses et appuya sur le bouton rouge devant elle. Deux ailes d'1m30 chacune se déployèrent de chaque côté de la motopulse, identiques aux membranes translucides d'un reptile. Elle plana ainsi pendant de longues minutes, guidant la motopulse comme elle pouvait dans l'espace cloitré qu'était l'arène, puis augmenta la vitesse, sinuant entre les pilliers ou se renversant. Une fois sa démonstration faite, elle rétracta les ailes et redescendit vers Linva et coupa le moteur.
Une drôle de sensation envahit sous corps tout à coup, comme si on venait de lui jeter un seau d'eau froide. De désagréables frissons parcouraient sa peau et son front était perlé de sueur, ses cheveux collant contre ses tempes.
- Jeune Sen, tu as passé tout tes tests avec courage et talent. Aussi je te demanderai de m'accompagner jusque dans la grande salle, où tu recevras tes résultats.
Sen s'inclina et la suivit sans un mot, la tête baissée sur le sol. Elle ne se rendit même pas compte qu'elle venait de revenir dans la grande salle où attendaient de nombreux élèves et...Listair. A son arrivée, il se leva. Sen admira encore sa prestance, sa grâce, sa longue et fine silhouette, ressemblant à celle d'un chat. Lorsqu'elle arriva jusqu'à lui, il l'observa avec attention sans dire un mot, puis tourna les yeux vers Linva avant de hocher imperceptiblement la tête. Sen sentit sa gorge se nouer. Pourquoi avait-elle si peur?
Linva s'éloigna et rejoignit les deux vatarans au centre de l'auditoire. Une dizaine d'autres Vatars étaient là. Listair, se rassit, et obligea son élève à l'imiter, toujours silencieux.
Hoan apparut alors à son tour, ruisselant de sueur, les sourcils froncés, comme à son habitude lorsqu'il était concentré. Le Vatar qui l'accompagnait rejoignit les autres et Hoan revint s'assoir à côté de Sen en essuyant son visage. Jirok n'avait pas plus bougé que son collègue.
Près de dix minutes plus tard, les derniers élèves revenaient et il ne restait bientôt plus personne sur les terrains. Une trentaine de Vatar se tenaient fièrement au centre de la chambre, et les élèves, pâles, tremblaient d'impatience.
Un par un, ils se levèrent en entendant leur nom, accompagné de leur Annonciateur, et recevait leurs résultats. Lorsque le nom de Sen résonna dans la salle, Listair dut la pousser en avant pour qu'elle ose se lever. Les douleurs de son corps se réveillèrent avec violence, manquant de la faire tomber. Une fois devant l'auditoire, Linva s'approcha, une feuille de papier dans la main. Elle plongea son regard sombre dans celui de Sen, puis sourit largement :
- Bravo à toi jeune Sen, tu es acceptée. Puisses-tu réussir ce que tu entreprendras, et devenir une Vatar digne de ce nom.
Sen s'empara d'une main tremblante de la feuille que lui tendait Linva, les larmes aux yeux. Derrière elle, Listair posa une main sur son épaule, plus douce qu'elle ne l'avait jamais été. Sen ne put le regarder en face, les larmes coulant sur ses joues. Cette main posée sur son épaule était le signe de la plus sincère des fiertés.
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Lorsque Sen se réveilla ce matin là, elle n'était déjà plus la même. La veille au soir, elle avait prouvé qu'elle n'était plus la petite Sen d'autrefois, tête en l'air et sans arrêt en retard, capable de presque tout sans être vraiment douée en rien. Cette fois-ci, on avait reconnut sa valeur, on l'avait acceptée et jugée pour ce qu'elle était vraiment, et entendu son potentiel.
Sen n'était plus la même.
Elle se vêtit, se lava et resta un long moment à s'observer dans le miroir. Si son esprit avait changé, son corps aussi. Fine et élancée, elle atteignait les 1m70. Ses cheveux coupés en un carré plongeant jusqu'aux épaules étaient d'un noir de jais, aussi fin et doux que de la soie.
Sen effleura son visage du bout des doigts, s'imagina la peau couverte de ces symboles qui l'intriguaient tant. Ferait-elle une bonne Vatar? Serait-elle à la hauteur de ses obligations? Passerait-elle sa vie à la poursuite des Netras, ce peuple qui les menaçait tous? Sen ferma les yeux et inspira profondément, puis se détourna. Sans réveiller ses camarades du dortoir, elle traversa la chambre en silence et descendit jusqu'à la cantine. Cette fois-ci, elle ne prit qu'un jus d'orange, et s'installa à une table proche de la grande baie vitrée donnant sur la cour, et, plus loin, sur l'extérieur, qu'elle n'avait pas fréquenté depuis presque dix ans. Parviendrait-elle à s'adapter de nouveau à la vraie vie? Comment réagirait sa mère en la retrouvant? Perdue dans ses pensées, la tête reposant contre sa paume, Sen n'entendit pas Hoan approcher et sursauta lorsqu'il murmura un "bouh" au creux de son oreille. Il pouffa en secouant la tête et s'installa à ses côtés, les mains vides. Sen l'observa du coin de l'œil. La désinvolture du jeune homme n'était qu'une enveloppe sous lequel se cachait un Hoan bien plus fragile qu'il ne le prétendait...Sen vit les fines rides qui striaient son front lorsqu'il fronça les sourcils, le regard perdu dans les nuages. Il réfléchissait.
Lui aussi avait réussi les tests et passait ce soir par la Tarsis. Sen n'avait jamais été aussi fière de lui. Hoan avait un potentiel énorme, elle l'avait toujours su, et il ferait sans doute un très bon Vatar. Elle sourit en le regardant, puis détourna les yeux.
- Qu'est-ce qui te fait sourire? demanda Hoan sans bouger d'un pouce.
- Rien, murmura t'elle.
Un long silence s'ensuivit, rompu par la jeune femme après plusieurs minutes :
- Hoan, crois-tu que...nous réussirons? Je veux dire...La Tarsis...et puis...enfin...
- Tu t'inquiètes de ça maintenant que nous sommes arrivés là? Je te reconnais bien, répondit-il en plongeant son regard azur dans le sien. Tu réussiras Sen, tu es forte. Tu sauras te maitriser, et faire ce qu'il faut, cesse de t'angoisser.
- Ne fais pas semblant non plus, dit-elle en fronçant les sourcils. Ne me fais pas croire que tu n'as pas peur.
Hoan pouffa, mais ne répondit rien, étudiant de nouveau avec attention les nuages qui parsemaient le ciel d'un bleu parfait. Sen l'imita.
Ils avaient aujourd'hui leur journée de libre, et devait se préparer à la dernière étape de leur apprentissage, celle qui déciderait de leur avenir : La Vatarstasis.
Durant leur apprentissage, on leur avait souvent parlé de la Vatarstasis, sans jamais pourtant entrer dans les détails, et ce fut la veille au soir, alors que la fatigue les assommait, qu'on leur expliqua le fonctionnement de l'ultime épreuve. Listair, son Annonciateur et le Vatar avec qui elle ferait ses premiers pas, lui avait tout expliqué dans les moindres détails, et la peur lui tordait l'estomac. Elle passerait ce soir, lui avait-il annoncé.
Aujourd'hui, ce n'était pas la peur qui la secouait, mais un sentiment bien plus violent. Une excitation impatiente et douloureuse. Listair l'avait maintes fois rassurée, en lui arguant sa grande maitrise de soi et son calme à toute épreuve. Il lui avait même promis de veiller à ce que rien de grave ne lui arrive si la situation tournait mal...Sen avait une entière confiance en son Annonciateur, mais en elle-même...c'était une autre histoire.
Elle passa l'après-midi dans la cour de motopulses, où elle pouvait maintenant s'entrainer comme elle le voulait. Elle vola au dessus du district - les apprentis n'avaient pas le droit d'aller plus loin - lunettes sur le nez, gants de cuir noirs aux mains. Elle plana longuement en observant les autres districts, plus loin, dont celui d'où elle venait...Ni Mong, qu'elle survolait, le dépassait largement, titanesque. Ce n'était pas la première fois qu'elle le remarquait, et pourtant, elle ne cessait de s'en étonner.
Alors que le soleil n'allait pas tarder à se coucher et que le ciel prenait une teinte rougeâtre, elle descendit enfin sur la terre ferme. Elle observa quelques minutes les apprentis et leur professeurs conduire les engins, déraper, parfois tomber. Ce temps était révolu pour elle à présent.
Elle rentra dans le centre et revint au dortoir, où quelques unes de ses camarades, allongées sur les lits, se turent à son arrivée. Elles avaient pour la plupart le même âge qu'elle, mais n'étaient pas arrivées au même stade. Aussi, depuis que Sen avait réussi les tests, elles ne lui adressèrent plus la parole, et leur regard devint haineux lorsqu'ils surent qu'elle passerait la vatarstasis le lendemain. Mais la jeune femme ne s'en préoccupait pas, bien au contraire. Hormis Hoan, elle n'avait aucun ami ici. Elle se dirigea vers son lit sur lequel elle s'assied, sans se soucier des chuchotements qui reprirent dans son dos. Le soleil disparaissait derrière de minces filets de nuages, laissait derrière lui une ribambelle de couleurs chaudes et apaisantes. Elle se délecta de ce spectacle lorsqu'on frappa à la porte. Elle sursauta, et, voyant qu'aucune des filles n'allait ouvrir, se dirigea vers la porte. Lorsqu'elle l'ouvrit, Listair se tenait là. Son visage était plus pâle qu'à l'habitude, son regard plus pénétrant.
- Sen, il est temps d'y aller.
Sen sentit son cœur rater un battement, puis se reprit aussitôt. Elle lança un coup d'œil aux filles assises sur le lit qui la fixaient, presque effrayées, puis sortit. Elle suivit Listair jusque dans le bâtiment où tout allait se dérouler. Ce bâtiment qu'elle avait si souvent observé dans les moindres détails, pendant des heures et des heures...Cette fois-ci, elle y entrait. Listair composa le code qui permettait d'entrer, puis la porte de métal s'ouvrit. C'était si différent ! L'endroit ressemblait à un laboratoire scientifique, le plafond parcouru de néons, le sol clair, des hommes en blouses blanches...Sen n'avait encore jamais vu ces hommes et ces femmes ici.
- Qui sont-ils?
- Ce sont des médecins. Plusieurs d'entre eux veilleront sur ta tarsis le moment venu.
- Pourquoi nous ne les voyons jamais?
- Car ils ont ordre de rester ici.
Plusieurs médecins leur firent un signe de tête, sans s'arrêter plus longtemps, bien trop occupés. Ils traversèrent plusieurs couloirs, descendirent plusieurs escaliers.
- Nous allons...sous terre?
- Oh, ce n'est pas ici que tout va se passer. Disons que c'est...un peu plus loin. Nous pouvions y aller en motopulse, mais je voulais te montrer d'autres moyens de se déplacer sur les districts.
- Est-ce légal?
- Bien sur! rit-il. Jamais je ne me risquerai à te montrer quelque chose d'interdit.
Même si Sen le croyait, il avait prit une voix légèrement ironique, qui la détendit. Ils atteignirent bientôt une grosse porte en métal rouillé et épais, solidement fermée et gardée par deux Vatars. A la vue de Listair, il s'inclinèrent légèrement et de leurs deux mains, soulevèrent les verrous et ouvrirent le passage. Sen avança, bouche bée, dans ce qui ressemblait à une ville souterraine. Tout avait été aménagés, et des dizaines de chemins de fers viraient dans tout les sens. Des sortes de cabines roulaient dessus, à grande vitesse, et plongeaient dans l'obscurité dans des grincements sinistres qui résonnèrent.
- Nous allons voyager ainsi pour se rendre là ou nous devons. C'est un endroit sur pour ne pas se faire repérer, et rapide. Il est le plus souvent utiliser par les Vatars de rang A.
- De rang A?
- Tu apprendras cela le moment venu, je ne peux t'en révéler davantage.
- Je vais pourtant accéder à la Tarsis...
Listair s'arrêta et se retourna vers son élève et future Vatar, une lueur amusée dans le regard.
- Sache que certains Vatar haut placés et puissants ignorent beaucoup de choses, choses qu'ils ne sauront probablement jamais. Ce n'est pas la Tarsis qui te fera connaitre tout les secrets de notre peuple.
Puis il reprit sa marche. Sen attendit quelques secondes avant de le rejoindre, en courant.
- Vous dites ça car vous faites partie de ces Vatar haut placés et puissants qui ignorent ces choses-là?
Listair rit mais ne répondit pas. Sen savait qu'elle avait raison...Y avait-il tant de secrets à garder pour la sauvegarde du peuple vataran? Et le peuple vataran n'avait rien à voir avec ces mystères que très peu connaissaient?
- Cesse de t'inquiéter sur ce qui est hors de ta portée. Tu as décidé de devenir Vatar, et cela implique le respect de cette règle. Si tu veux faire demi-tour, tout est...
- Pas question!
Sen avait presque crié, s'attirant les regards des passants. Listair n'avait pas pipé mot et continua sa route comme s'il n'avait rien entendu.
- Ou est Hoan? demanda t-elle plus brusquement qu'elle ne le voulait.
- Avec Jirok.
- Vont-ils au-même endroit que nous?
- Oui et non. Vous ne pouvez être dans la même pièce, et vous ne vous verrez pas.
Sen avala sa salive et baissa la tête, orientant ses pensées vers son ami. Elle ferma les yeux et pria pour qu'il réussisse.
Un grincement terrible se fit entendre tout près d'elle, et elle plaqua ses mains contre ses oreilles en criant silencieusement. Une cabine venait de s'arrêter, prête à les emmener. Listair ouvrit la portière en posant sa main sur un écran, et invita son élève à grimper. Sen enjamba la barrière et s'installa sur le siège recouvert de cuir miteux. Listair s'assied en face d'elle et referma la porte, qui se verrouilla aussitôt. Il murmura la nom de "base 26A8B" et la cabine s'élança. Sen dut d'abord se cramponner au siège, puis osa regarder pas la fenêtre. Ils filaient droit devant, dans un tunnel creusé sous terre, plongé dans une obscurité quasi-totale. Elle parvenait à distinguer, vu la vitesse à laquelle ils avançaient, de vagues trainées lumineuses et, en dessous d'eux, un gouffre sans fin dans lequel s'entremêlaient des centaines de chemins de fer. Elle émit une exclamation stupéfaite. Listair l'observait sans rien dire.
Le trajet dura un peu plus de quinze minutes, durant lesquelles Sen ne fit qu'observer l'endroit fabuleux et totalement différent dans lequel elle venait de s'enfoncer. Si elle préférait le ciel à la terre, il n'en était pas moins excitant. Elle suivit de nouveau Listair qui l'emmena dans des couloirs mal éclairés, puis sur une nouvelle porte, presque identique à celle qu'ils avaient traversé avant qu'ouvrirent deux autres Vatars. Ils montèrent toute une volée de marches, et revinrent bientôt à la lumière, dans un centre similaire au premier que Sen avait découvert, avec ses néons, ses meubles en inox et son parterre blanc.
Pour la énième fois, les couloirs défilèrent, les escaliers, puis une porte sur laquelle les mots "Vatarstasis n°511B2, poste 6, matricule 3C" étaient inscrits. Listair s'arrêta devant, observa sa montre, puis se tourna vers Sen, qui sentit la sueur perler sa nuque et son cœur faire une embardée.
- Tout va se jouer derrière cette porte. Une fois le seuil franchi, tu ne pourras plus revenir en arrière. Je ne pourrai pas rester dans la même pièce que toi, seuls les médecins le peuvent...
- Mais vous...
- Mais je serai tout près, ne t'inquiètes pas. Un Annonciateur ne peut abandonner son élève, et ce n'est pas mon intention. Avant d'entrer, je veux t'avertir d'une chose...La Vatarstasis est l'étape cruciale dans ton initiation. Tout se joue ici. La Vatarstasis est une épreuve, dans tout les sens du terme. Tu vas devoir y résister, et ne surtout pas te laisser aller, me comprends-tu? Moins tu te débattras, moins tu auras une bonne maitrise de tes dons. C'est le plus important. Le reste, tu devras le découvrir par toi-même.
Sen acquiesça en silence, le visage pâle. Listair ne dit pas un mot de plus et ouvrit la porte. Une vaste salle circulaire, au plafond très haut parcouru de faibles néons, au sol gris, entourée de cabines éclairées où patientaient des médecins. Et au centre de la salle, un caisson, assez long et large pour une personne, transparent. Sen sentit ses jambes trembler. Elle faillit s'arrêter là, mais Listair, aux aguets, venait de la pousser discrètement en avant, gardant sa main autour de son poignet. Ce contact, sans raison apparente, lui redonna quelque courage. Un médecin en blouse blanche s'approcha d'eux.
- Élève, Senyara Mîn, Annonciateur, Listair Kelvar...?
- Oui monsieur, répondit Listair d'une voix calme.
- Très bien. Nous nous chargeons du reste, vous pouvez disposer. Là-bas...Vous, venez ici.
Le médecin prit Sen par le bras et l'entraina à sa suite. La jeune fille voulut riposter, et se tourna, le visage blanc comme un linge, apeuré, vers son professeur. Elle lut sur ses lèvres "J'ai confiance en toi", et l'observa partir dans l'une des cabines, sur la gauche du caisson. L'homme en blouse blanche lui ordonna de s'allonger dans le caisson, qu'il ouvrit à l'aide d'un code. Sen obéit sans un mot, et pénétra dans le caisson. Le médecin se pencha au dessus d'elle.
- Votre Annonciateur vous a t-il tout expliqué?
- Oui.
- Dans les moindres détails?
- Ce qu'il me fallait savoir.
- Très bien. Nous allons vous injecter une drogue qui vous coupera totalement du monde extérieur et vous prodiguera une perception très fine de votre corps. C'est ainsi que vous pourrez contrôler la situation. Si ça dégénère, nous sommes là et stopperons la transformation pour limiter les séquelles. Bien...Allongez-vous correctement s'il vous plait. Bien. Ne bougez plus à présent.
Le médecin actionna un bouton et des lanières de cuir solide enserrèrent ses poignets et ses chevilles, ainsi que ses hanches.
- Mais...
- Je savais qu'il ne vous avait pas tout dit ! La Tarsis est douloureuse, il vaut mieux pour vous que soyez attachée. Et pour nous...Vous êtes prête?
- Je...Oui.
Sen haletait, sa poitrine se soulevait avec vigueur et son cœur battait la chamade. Elle ne cessait de bouger ses mains et ses pieds, prenant difficilement conscience qu'elle était enfermée et attachée. Prisonnière.
Le médecin enfonça alors une seringue dans le creux de son bras, puis composa un nouveau code. Le haut du caisson se rabaissa, et Sen n'entendit alors plus rien. Elle tourna la tête dans tout les sens, et aperçut Listair, dans la cabine, les mains contre la vitre. Il ne la quittait pas des yeux. Sen continuait de l'observer lorsque tout sembla se brouiller. Tout devint flou, perdit ses couleurs, tourna. Elle ferma les yeux.
Le bruit de son cœur résonna puissamment à ses oreilles. Elle semblait même sentir son sang circuler dans ses veines. Elle sentait l'air qu'elle inspirait pénétrer dans ses poumons. Sentait le contact rugueux du cuir sur sa peau. Puis elle rouvrit les yeux au son étrange d'un jet de gaz.
Qu'est-ce que c'est? Que se passe-t-il?
Elle ne voyait rien, et pourtant, à la première inspiration, elle sentit quelque chose pénétrer en elle, dans sa chair, dans son sang, dans ses organes. Dans la moindre petite et infime parcelle de son corps.
Ça fait...mal!
Elle avait l'impression que son corps s'alourdissait, que du plomb avait remplacé son sang, que ses poumons étaient écrasés par une masse qu'elle ne maitrisait pas. Sa respiration devint saccadée, et une douleur fulgurante traversa sa poitrine, puis sa tête. Elle tenta plaquer ses mains contre son crâne. Se rendit compte qu'elle était liée. Et cette douleur...Elle hurla. Tenta de se débattre. Sentit le plomb s'étendre, sur son corps comme s'il l'écrasait. Elle avait l'impression que tout en elle se broyait.
STOP! Je veux qu'on arrête!!
Elle se tordait de douleur, et ouvrit enfin les yeux. Tout était flou, et ces lumières qui lui brûlait les yeux. Elle tourna la tête, tenta d'appeler à l'aide, qu'on cesse cette torture. Puis vit une silhouette, là, dans la cabine, à quelques mètres d'elle.
Qui...Li...Listair...
Sa tête tombait mollement sur le fond du caisson, tournée vers la silhouette de son professeur. Et là, ses mots lui revinrent en mémoire, avec violence. Par morceaux. Elle n'en comprit d'abord pas la sens. Résister. Débattre. Transformation. De quoi parlait-il? Vatarstasis. Épreuve. Maitrise. Le plomb s'étendait sur sa poitrine, remontait dans son cou, sur sa nuque, dans son bras droit, sur son visage.
NON!
Elle avait comprit à présent. Elle devait lutter. Ne pas laisser la douleur s'étendre davantage, ou elle perdrait. Son avenir était en jeu. Sa vie. La douleur ne s'étendit plus, mais se fit plus vive. Si vive que Sen hurla de nouveau, a en perdre la voix. Ses yeux se révulsèrent et sa poitrine se souleva dans un spasme.
C'est alors que par un effort surhumain, elle parvint à se remémorer, par flashs indistincts dans son esprit, tout ce qu'elle avait fait jusque là. Des bribes de sa vie. Une vie qu'elle n'avait plus, qu'elle n'aurait plus jamais. Mais ce n'était pas seulement ce qu'elle avait vécu jusqu'à la qui lui revenait en mémoire, mes ses souvenirs. Des souvenirs oubliés, qu'elle ignorait complètement. Des souvenirs qui étaient restés enfouis en elle sans qu'elle sache. Qu'elle aurait préféré ne jamais voir. Une femme, et un homme, là, devant ses yeux. Qui l'observaient avec horreur, peur, tristesse et amour à la fois. Puis de nouveau une femme et un homme. Ses parents...Ses parents?
Puis les flashs s'estompèrent, et vinrent des voix, stridentes, des cris. Elle avait l'impression que sa tête allait exploser, que l'endroit ou le plomb allait tomber en poussière lorsque des flammes intérieures léchèrent sa peau. La marquèrent. Des symboles étranges apparurent, ancrés dans sa peau, comme marqués au fer rouge. Ils s'étalèrent sur sa nuque, son coup, autour de son œil droit, le haut de sa poitrine pour grimper le long de son bras. Puis se stoppèrent.
La poitrine de Sen retomba mollement sur le caisson. Elle haletait, perlée de sueur. Et pourtant, ce n'était pas fini...Une sensation étrange, comme si l'on versait un seau d'eau gelée sur son corps brûlant, la fit frissonner. Les symboles s'emplirent d'une couleur étrange, sombre et luisante, mélangée à une couleur surnaturelle et argentée. Le Chi! A l'endroit où il parcourut le corps de Sen, ses vêtements furent troués et brûlées, laissant des marques sur le devant de son tee-shirt.
Pour tout cessa. Le néant l'engloutit totalement, la douleur s'éteignit, laissant un corps engourdi et brûlant et fiévreux.
Le caisson s'ouvrit automatiquement et les médecins vinrent examiner le corps inerte de Sen. Ils la palpèrent, notèrent sur des carnets en papier, puis la sortirent du caisson pour la poser sur un lit mobile. Listair était déjà là, sans que personne ne l'ai vu esquisser le moindre mouvement. Il posa sa main sur le front de son élève et ferma les yeux. Il la suivit dans une chambre, ou elle devrait se remettre, et resta à son chevet.
Sen n'était plus la même.
Elle se vêtit, se lava et resta un long moment à s'observer dans le miroir. Si son esprit avait changé, son corps aussi. Fine et élancée, elle atteignait les 1m70. Ses cheveux coupés en un carré plongeant jusqu'aux épaules étaient d'un noir de jais, aussi fin et doux que de la soie.
Sen effleura son visage du bout des doigts, s'imagina la peau couverte de ces symboles qui l'intriguaient tant. Ferait-elle une bonne Vatar? Serait-elle à la hauteur de ses obligations? Passerait-elle sa vie à la poursuite des Netras, ce peuple qui les menaçait tous? Sen ferma les yeux et inspira profondément, puis se détourna. Sans réveiller ses camarades du dortoir, elle traversa la chambre en silence et descendit jusqu'à la cantine. Cette fois-ci, elle ne prit qu'un jus d'orange, et s'installa à une table proche de la grande baie vitrée donnant sur la cour, et, plus loin, sur l'extérieur, qu'elle n'avait pas fréquenté depuis presque dix ans. Parviendrait-elle à s'adapter de nouveau à la vraie vie? Comment réagirait sa mère en la retrouvant? Perdue dans ses pensées, la tête reposant contre sa paume, Sen n'entendit pas Hoan approcher et sursauta lorsqu'il murmura un "bouh" au creux de son oreille. Il pouffa en secouant la tête et s'installa à ses côtés, les mains vides. Sen l'observa du coin de l'œil. La désinvolture du jeune homme n'était qu'une enveloppe sous lequel se cachait un Hoan bien plus fragile qu'il ne le prétendait...Sen vit les fines rides qui striaient son front lorsqu'il fronça les sourcils, le regard perdu dans les nuages. Il réfléchissait.
Lui aussi avait réussi les tests et passait ce soir par la Tarsis. Sen n'avait jamais été aussi fière de lui. Hoan avait un potentiel énorme, elle l'avait toujours su, et il ferait sans doute un très bon Vatar. Elle sourit en le regardant, puis détourna les yeux.
- Qu'est-ce qui te fait sourire? demanda Hoan sans bouger d'un pouce.
- Rien, murmura t'elle.
Un long silence s'ensuivit, rompu par la jeune femme après plusieurs minutes :
- Hoan, crois-tu que...nous réussirons? Je veux dire...La Tarsis...et puis...enfin...
- Tu t'inquiètes de ça maintenant que nous sommes arrivés là? Je te reconnais bien, répondit-il en plongeant son regard azur dans le sien. Tu réussiras Sen, tu es forte. Tu sauras te maitriser, et faire ce qu'il faut, cesse de t'angoisser.
- Ne fais pas semblant non plus, dit-elle en fronçant les sourcils. Ne me fais pas croire que tu n'as pas peur.
Hoan pouffa, mais ne répondit rien, étudiant de nouveau avec attention les nuages qui parsemaient le ciel d'un bleu parfait. Sen l'imita.
Ils avaient aujourd'hui leur journée de libre, et devait se préparer à la dernière étape de leur apprentissage, celle qui déciderait de leur avenir : La Vatarstasis.
Durant leur apprentissage, on leur avait souvent parlé de la Vatarstasis, sans jamais pourtant entrer dans les détails, et ce fut la veille au soir, alors que la fatigue les assommait, qu'on leur expliqua le fonctionnement de l'ultime épreuve. Listair, son Annonciateur et le Vatar avec qui elle ferait ses premiers pas, lui avait tout expliqué dans les moindres détails, et la peur lui tordait l'estomac. Elle passerait ce soir, lui avait-il annoncé.
Aujourd'hui, ce n'était pas la peur qui la secouait, mais un sentiment bien plus violent. Une excitation impatiente et douloureuse. Listair l'avait maintes fois rassurée, en lui arguant sa grande maitrise de soi et son calme à toute épreuve. Il lui avait même promis de veiller à ce que rien de grave ne lui arrive si la situation tournait mal...Sen avait une entière confiance en son Annonciateur, mais en elle-même...c'était une autre histoire.
Elle passa l'après-midi dans la cour de motopulses, où elle pouvait maintenant s'entrainer comme elle le voulait. Elle vola au dessus du district - les apprentis n'avaient pas le droit d'aller plus loin - lunettes sur le nez, gants de cuir noirs aux mains. Elle plana longuement en observant les autres districts, plus loin, dont celui d'où elle venait...Ni Mong, qu'elle survolait, le dépassait largement, titanesque. Ce n'était pas la première fois qu'elle le remarquait, et pourtant, elle ne cessait de s'en étonner.
Alors que le soleil n'allait pas tarder à se coucher et que le ciel prenait une teinte rougeâtre, elle descendit enfin sur la terre ferme. Elle observa quelques minutes les apprentis et leur professeurs conduire les engins, déraper, parfois tomber. Ce temps était révolu pour elle à présent.
Elle rentra dans le centre et revint au dortoir, où quelques unes de ses camarades, allongées sur les lits, se turent à son arrivée. Elles avaient pour la plupart le même âge qu'elle, mais n'étaient pas arrivées au même stade. Aussi, depuis que Sen avait réussi les tests, elles ne lui adressèrent plus la parole, et leur regard devint haineux lorsqu'ils surent qu'elle passerait la vatarstasis le lendemain. Mais la jeune femme ne s'en préoccupait pas, bien au contraire. Hormis Hoan, elle n'avait aucun ami ici. Elle se dirigea vers son lit sur lequel elle s'assied, sans se soucier des chuchotements qui reprirent dans son dos. Le soleil disparaissait derrière de minces filets de nuages, laissait derrière lui une ribambelle de couleurs chaudes et apaisantes. Elle se délecta de ce spectacle lorsqu'on frappa à la porte. Elle sursauta, et, voyant qu'aucune des filles n'allait ouvrir, se dirigea vers la porte. Lorsqu'elle l'ouvrit, Listair se tenait là. Son visage était plus pâle qu'à l'habitude, son regard plus pénétrant.
- Sen, il est temps d'y aller.
Sen sentit son cœur rater un battement, puis se reprit aussitôt. Elle lança un coup d'œil aux filles assises sur le lit qui la fixaient, presque effrayées, puis sortit. Elle suivit Listair jusque dans le bâtiment où tout allait se dérouler. Ce bâtiment qu'elle avait si souvent observé dans les moindres détails, pendant des heures et des heures...Cette fois-ci, elle y entrait. Listair composa le code qui permettait d'entrer, puis la porte de métal s'ouvrit. C'était si différent ! L'endroit ressemblait à un laboratoire scientifique, le plafond parcouru de néons, le sol clair, des hommes en blouses blanches...Sen n'avait encore jamais vu ces hommes et ces femmes ici.
- Qui sont-ils?
- Ce sont des médecins. Plusieurs d'entre eux veilleront sur ta tarsis le moment venu.
- Pourquoi nous ne les voyons jamais?
- Car ils ont ordre de rester ici.
Plusieurs médecins leur firent un signe de tête, sans s'arrêter plus longtemps, bien trop occupés. Ils traversèrent plusieurs couloirs, descendirent plusieurs escaliers.
- Nous allons...sous terre?
- Oh, ce n'est pas ici que tout va se passer. Disons que c'est...un peu plus loin. Nous pouvions y aller en motopulse, mais je voulais te montrer d'autres moyens de se déplacer sur les districts.
- Est-ce légal?
- Bien sur! rit-il. Jamais je ne me risquerai à te montrer quelque chose d'interdit.
Même si Sen le croyait, il avait prit une voix légèrement ironique, qui la détendit. Ils atteignirent bientôt une grosse porte en métal rouillé et épais, solidement fermée et gardée par deux Vatars. A la vue de Listair, il s'inclinèrent légèrement et de leurs deux mains, soulevèrent les verrous et ouvrirent le passage. Sen avança, bouche bée, dans ce qui ressemblait à une ville souterraine. Tout avait été aménagés, et des dizaines de chemins de fers viraient dans tout les sens. Des sortes de cabines roulaient dessus, à grande vitesse, et plongeaient dans l'obscurité dans des grincements sinistres qui résonnèrent.
- Nous allons voyager ainsi pour se rendre là ou nous devons. C'est un endroit sur pour ne pas se faire repérer, et rapide. Il est le plus souvent utiliser par les Vatars de rang A.
- De rang A?
- Tu apprendras cela le moment venu, je ne peux t'en révéler davantage.
- Je vais pourtant accéder à la Tarsis...
Listair s'arrêta et se retourna vers son élève et future Vatar, une lueur amusée dans le regard.
- Sache que certains Vatar haut placés et puissants ignorent beaucoup de choses, choses qu'ils ne sauront probablement jamais. Ce n'est pas la Tarsis qui te fera connaitre tout les secrets de notre peuple.
Puis il reprit sa marche. Sen attendit quelques secondes avant de le rejoindre, en courant.
- Vous dites ça car vous faites partie de ces Vatar haut placés et puissants qui ignorent ces choses-là?
Listair rit mais ne répondit pas. Sen savait qu'elle avait raison...Y avait-il tant de secrets à garder pour la sauvegarde du peuple vataran? Et le peuple vataran n'avait rien à voir avec ces mystères que très peu connaissaient?
- Cesse de t'inquiéter sur ce qui est hors de ta portée. Tu as décidé de devenir Vatar, et cela implique le respect de cette règle. Si tu veux faire demi-tour, tout est...
- Pas question!
Sen avait presque crié, s'attirant les regards des passants. Listair n'avait pas pipé mot et continua sa route comme s'il n'avait rien entendu.
- Ou est Hoan? demanda t-elle plus brusquement qu'elle ne le voulait.
- Avec Jirok.
- Vont-ils au-même endroit que nous?
- Oui et non. Vous ne pouvez être dans la même pièce, et vous ne vous verrez pas.
Sen avala sa salive et baissa la tête, orientant ses pensées vers son ami. Elle ferma les yeux et pria pour qu'il réussisse.
Un grincement terrible se fit entendre tout près d'elle, et elle plaqua ses mains contre ses oreilles en criant silencieusement. Une cabine venait de s'arrêter, prête à les emmener. Listair ouvrit la portière en posant sa main sur un écran, et invita son élève à grimper. Sen enjamba la barrière et s'installa sur le siège recouvert de cuir miteux. Listair s'assied en face d'elle et referma la porte, qui se verrouilla aussitôt. Il murmura la nom de "base 26A8B" et la cabine s'élança. Sen dut d'abord se cramponner au siège, puis osa regarder pas la fenêtre. Ils filaient droit devant, dans un tunnel creusé sous terre, plongé dans une obscurité quasi-totale. Elle parvenait à distinguer, vu la vitesse à laquelle ils avançaient, de vagues trainées lumineuses et, en dessous d'eux, un gouffre sans fin dans lequel s'entremêlaient des centaines de chemins de fer. Elle émit une exclamation stupéfaite. Listair l'observait sans rien dire.
Le trajet dura un peu plus de quinze minutes, durant lesquelles Sen ne fit qu'observer l'endroit fabuleux et totalement différent dans lequel elle venait de s'enfoncer. Si elle préférait le ciel à la terre, il n'en était pas moins excitant. Elle suivit de nouveau Listair qui l'emmena dans des couloirs mal éclairés, puis sur une nouvelle porte, presque identique à celle qu'ils avaient traversé avant qu'ouvrirent deux autres Vatars. Ils montèrent toute une volée de marches, et revinrent bientôt à la lumière, dans un centre similaire au premier que Sen avait découvert, avec ses néons, ses meubles en inox et son parterre blanc.
Pour la énième fois, les couloirs défilèrent, les escaliers, puis une porte sur laquelle les mots "Vatarstasis n°511B2, poste 6, matricule 3C" étaient inscrits. Listair s'arrêta devant, observa sa montre, puis se tourna vers Sen, qui sentit la sueur perler sa nuque et son cœur faire une embardée.
- Tout va se jouer derrière cette porte. Une fois le seuil franchi, tu ne pourras plus revenir en arrière. Je ne pourrai pas rester dans la même pièce que toi, seuls les médecins le peuvent...
- Mais vous...
- Mais je serai tout près, ne t'inquiètes pas. Un Annonciateur ne peut abandonner son élève, et ce n'est pas mon intention. Avant d'entrer, je veux t'avertir d'une chose...La Vatarstasis est l'étape cruciale dans ton initiation. Tout se joue ici. La Vatarstasis est une épreuve, dans tout les sens du terme. Tu vas devoir y résister, et ne surtout pas te laisser aller, me comprends-tu? Moins tu te débattras, moins tu auras une bonne maitrise de tes dons. C'est le plus important. Le reste, tu devras le découvrir par toi-même.
Sen acquiesça en silence, le visage pâle. Listair ne dit pas un mot de plus et ouvrit la porte. Une vaste salle circulaire, au plafond très haut parcouru de faibles néons, au sol gris, entourée de cabines éclairées où patientaient des médecins. Et au centre de la salle, un caisson, assez long et large pour une personne, transparent. Sen sentit ses jambes trembler. Elle faillit s'arrêter là, mais Listair, aux aguets, venait de la pousser discrètement en avant, gardant sa main autour de son poignet. Ce contact, sans raison apparente, lui redonna quelque courage. Un médecin en blouse blanche s'approcha d'eux.
- Élève, Senyara Mîn, Annonciateur, Listair Kelvar...?
- Oui monsieur, répondit Listair d'une voix calme.
- Très bien. Nous nous chargeons du reste, vous pouvez disposer. Là-bas...Vous, venez ici.
Le médecin prit Sen par le bras et l'entraina à sa suite. La jeune fille voulut riposter, et se tourna, le visage blanc comme un linge, apeuré, vers son professeur. Elle lut sur ses lèvres "J'ai confiance en toi", et l'observa partir dans l'une des cabines, sur la gauche du caisson. L'homme en blouse blanche lui ordonna de s'allonger dans le caisson, qu'il ouvrit à l'aide d'un code. Sen obéit sans un mot, et pénétra dans le caisson. Le médecin se pencha au dessus d'elle.
- Votre Annonciateur vous a t-il tout expliqué?
- Oui.
- Dans les moindres détails?
- Ce qu'il me fallait savoir.
- Très bien. Nous allons vous injecter une drogue qui vous coupera totalement du monde extérieur et vous prodiguera une perception très fine de votre corps. C'est ainsi que vous pourrez contrôler la situation. Si ça dégénère, nous sommes là et stopperons la transformation pour limiter les séquelles. Bien...Allongez-vous correctement s'il vous plait. Bien. Ne bougez plus à présent.
Le médecin actionna un bouton et des lanières de cuir solide enserrèrent ses poignets et ses chevilles, ainsi que ses hanches.
- Mais...
- Je savais qu'il ne vous avait pas tout dit ! La Tarsis est douloureuse, il vaut mieux pour vous que soyez attachée. Et pour nous...Vous êtes prête?
- Je...Oui.
Sen haletait, sa poitrine se soulevait avec vigueur et son cœur battait la chamade. Elle ne cessait de bouger ses mains et ses pieds, prenant difficilement conscience qu'elle était enfermée et attachée. Prisonnière.
Le médecin enfonça alors une seringue dans le creux de son bras, puis composa un nouveau code. Le haut du caisson se rabaissa, et Sen n'entendit alors plus rien. Elle tourna la tête dans tout les sens, et aperçut Listair, dans la cabine, les mains contre la vitre. Il ne la quittait pas des yeux. Sen continuait de l'observer lorsque tout sembla se brouiller. Tout devint flou, perdit ses couleurs, tourna. Elle ferma les yeux.
Le bruit de son cœur résonna puissamment à ses oreilles. Elle semblait même sentir son sang circuler dans ses veines. Elle sentait l'air qu'elle inspirait pénétrer dans ses poumons. Sentait le contact rugueux du cuir sur sa peau. Puis elle rouvrit les yeux au son étrange d'un jet de gaz.
Qu'est-ce que c'est? Que se passe-t-il?
Elle ne voyait rien, et pourtant, à la première inspiration, elle sentit quelque chose pénétrer en elle, dans sa chair, dans son sang, dans ses organes. Dans la moindre petite et infime parcelle de son corps.
Ça fait...mal!
Elle avait l'impression que son corps s'alourdissait, que du plomb avait remplacé son sang, que ses poumons étaient écrasés par une masse qu'elle ne maitrisait pas. Sa respiration devint saccadée, et une douleur fulgurante traversa sa poitrine, puis sa tête. Elle tenta plaquer ses mains contre son crâne. Se rendit compte qu'elle était liée. Et cette douleur...Elle hurla. Tenta de se débattre. Sentit le plomb s'étendre, sur son corps comme s'il l'écrasait. Elle avait l'impression que tout en elle se broyait.
STOP! Je veux qu'on arrête!!
Elle se tordait de douleur, et ouvrit enfin les yeux. Tout était flou, et ces lumières qui lui brûlait les yeux. Elle tourna la tête, tenta d'appeler à l'aide, qu'on cesse cette torture. Puis vit une silhouette, là, dans la cabine, à quelques mètres d'elle.
Qui...Li...Listair...
Sa tête tombait mollement sur le fond du caisson, tournée vers la silhouette de son professeur. Et là, ses mots lui revinrent en mémoire, avec violence. Par morceaux. Elle n'en comprit d'abord pas la sens. Résister. Débattre. Transformation. De quoi parlait-il? Vatarstasis. Épreuve. Maitrise. Le plomb s'étendait sur sa poitrine, remontait dans son cou, sur sa nuque, dans son bras droit, sur son visage.
NON!
Elle avait comprit à présent. Elle devait lutter. Ne pas laisser la douleur s'étendre davantage, ou elle perdrait. Son avenir était en jeu. Sa vie. La douleur ne s'étendit plus, mais se fit plus vive. Si vive que Sen hurla de nouveau, a en perdre la voix. Ses yeux se révulsèrent et sa poitrine se souleva dans un spasme.
C'est alors que par un effort surhumain, elle parvint à se remémorer, par flashs indistincts dans son esprit, tout ce qu'elle avait fait jusque là. Des bribes de sa vie. Une vie qu'elle n'avait plus, qu'elle n'aurait plus jamais. Mais ce n'était pas seulement ce qu'elle avait vécu jusqu'à la qui lui revenait en mémoire, mes ses souvenirs. Des souvenirs oubliés, qu'elle ignorait complètement. Des souvenirs qui étaient restés enfouis en elle sans qu'elle sache. Qu'elle aurait préféré ne jamais voir. Une femme, et un homme, là, devant ses yeux. Qui l'observaient avec horreur, peur, tristesse et amour à la fois. Puis de nouveau une femme et un homme. Ses parents...Ses parents?
Puis les flashs s'estompèrent, et vinrent des voix, stridentes, des cris. Elle avait l'impression que sa tête allait exploser, que l'endroit ou le plomb allait tomber en poussière lorsque des flammes intérieures léchèrent sa peau. La marquèrent. Des symboles étranges apparurent, ancrés dans sa peau, comme marqués au fer rouge. Ils s'étalèrent sur sa nuque, son coup, autour de son œil droit, le haut de sa poitrine pour grimper le long de son bras. Puis se stoppèrent.
La poitrine de Sen retomba mollement sur le caisson. Elle haletait, perlée de sueur. Et pourtant, ce n'était pas fini...Une sensation étrange, comme si l'on versait un seau d'eau gelée sur son corps brûlant, la fit frissonner. Les symboles s'emplirent d'une couleur étrange, sombre et luisante, mélangée à une couleur surnaturelle et argentée. Le Chi! A l'endroit où il parcourut le corps de Sen, ses vêtements furent troués et brûlées, laissant des marques sur le devant de son tee-shirt.
Pour tout cessa. Le néant l'engloutit totalement, la douleur s'éteignit, laissant un corps engourdi et brûlant et fiévreux.
Le caisson s'ouvrit automatiquement et les médecins vinrent examiner le corps inerte de Sen. Ils la palpèrent, notèrent sur des carnets en papier, puis la sortirent du caisson pour la poser sur un lit mobile. Listair était déjà là, sans que personne ne l'ai vu esquisser le moindre mouvement. Il posa sa main sur le front de son élève et ferma les yeux. Il la suivit dans une chambre, ou elle devrait se remettre, et resta à son chevet.
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Toute la nuit, Sen ne bougea pas, plongée dans un sommeil comateux. La fièvre avait du mal à baisser, et les marques sur sa peau scintillaient plus que d'habitude. Le Chi devait se mettre en place, avaient dit les médecins.
Listair, assis sur un fauteuil a côté du lit, observait Sen, impassible, et se revit dans cette même posture, des années auparavant. Lui aussi avait du se remettre du choc de la Tarsis, et s'adapter à ses nouveaux dons. Il ferma les yeux et soupira, penchant la tête en arrière.
Sen aurait-elle un donc en particulier? Au vue de l'entendue des tatouages, elle avait une bonne maitrise d'elle même, et avait un potentiel incontestable. Il n'avait eu qu'à croiser son regard pour savoir que jamais elle n'abandonnerai. Qu'elle deviendrait quelqu'un de fort. Une Vatar digne de ce nom. Plongé dans ses pensées, il s'accorda quelque temps pour dormir.
Le lendemain matin, Sen commença à bouger. Elle remua d'abord la tête et inspira de grandes bouffées d'air, la gorge sèche. Elle avait très chaud d'un coup, la fièvre était tombée. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la première chose qu'elle vit fut une lumière aveuglante qui lui brûla les yeux. Elle plaqua les mains sur ses paupières refermées, et attendit un certain temps avant de les rouvrir. Même chose. Elle tenta de regarder ailleurs, mais la lumière était toujours aussi aveuglante. Elle se redressa en position assise, et attendit, mains sur le visage.
Listair entra à ce moment dans la chambre, un plateau en inox dans les mains et de la nourriture. Il s'arrêta lorsqu'il vit Sen réveillée et accourut vers elle, posant le plateau sur un chariot.
- Tout va bien? Tu devrais te rallonger. Tu n'es pas totalement prête.
- Qu'on éteigne ces lumières!
- La lumière?
Listair leva les yeux vers le plafond. Les néons étaient allumés mais diffusaient une lumière pâle et douce. Le soleil pénétrait par la fenêtre et éclairait la pièce.
- Que se passe t-il?
- Il y a trop de lumière, je ne vois rien! Elle me brûle les yeux !
- Très bien, je vais éteindre!
Il ferma la fenêtre puis baissa le rideau, et éteignit la pièce. Il se retrouva dans une obscurité presque totale, hormis la lumière diffusée par les interstices de la fenêtre et de la porte.
- Ouvre les yeux maintenant.
Sen ôta ses mains et ouvrit les yeux. La lumière avait disparut, certes, mais quelque chose n'allait pas. Sa vision avait changé. Elle ne voyait pas les couleurs, et distinguait pourtant tout ce qui se trouvait dans la pièce. Le lit, le fauteuil, le chariot, la fenêtre, dont les contours l'éblouirent, puis Listair. Elle eut un mouvement de recul en l'apercevant. Les marques qui striaient sa peau luisaient d'une couleur bleue-argentée qui contrastaient étrangement avec le noir qui régnait dans la pièce. Ces yeux brillaient eux aussi.
- Sen, est-ce que tout va bien?
Sen ne répondit pas, la bouche entrouverte, et baissa immédiatement la tête sur ses mains et ses bras. Là, elle vit les marques. Elles aussi scintillaient, plus vivement que celles de Listair, d'une lueur argentée. Elles grimpaient le long de son bras droit puis disparaissaient hors de sa vue. Elle palpa son visage, ne sentit rien.
- Sen...
Elle se tourna de nouveau vers Listair, qui l'observait avec appréhension.
- Je...je vous vois!
- Je te vois aussi Sen...
- Non, je veux dire...je vois dans le noir! Je distingue tout! Je...Ça alors!
Listair parut stupéfait, puis réfléchit. Mais oui! Sen avait toujours eu une vue excellente, surprenante même. La Vatarstasis devait lui avoir fait ce don !
Listair sourit et s'approcha de Sen, posa ses mains sur ses épaules.
- Sen, tu es l'une des rares élues de la Vatarstasis. Cet aspect là est souvent le moins connu, mais tu en savais un minimum. Lors de la Vatarstasis, certaines personnes en ressortent changées, non seulement par leurs maitrises de éléments, mais aussi un don qui peut lui être...disons..."ajouté". Le plus souvent, ce don correspond à une capacité plus développée que l'humain possédait déjà au préalable. Et si je ne me trompe pas, tu as toujours eu une très bonne vue non?
Sen sourit à son tour, et hocha la tête.
- Mais qui dit un don en plus, dit plus d'entrainement, jeune Sen. Tu as devant toi un mois durant lequel tu vas pouvoir t'entrainer et maitriser pleinement tes nouvelles aptitudes. Un mois durant lequel je t'épaulerai. Puis tu devras passer la cérémonie d'intronisation durant laquelle tu choisiras ton métier et ta voie. Ton don devra être démontré, et il t'aidera à choisir.
- Seulement un mois?! Mais si je ne parviens pas à maitriser parfaitement cette...nouvelle vue, comment ferai-je?
- Pars du principe que tu y arriveras, veux-tu? De plus...Qui sait vraiment quel est ton don? Personne n'a les moyens de savoir jusqu'où tu peux aller. Profites-en. Mais pour le moment, il me reste quelque chose à voir avec les médecins et les chercheurs. Restes-ici et mange, je repasserai te voir toute à l'heure.
Sen hocha de nouveau la tête. Listair s'apprêtait à sortir lorsqu'elle l'interpella :
- Et...qu'en est-il de Hoan?
Listair s'arrêta et se retourna. Un sourire étirait ses lèvres.
- Il va très bien. Vous vous verrez une fois remis, en attendant, mange!
Puis il sortit. Sen se laissa tomber sur son lit et leva ses mains au dessus d'elle. Elle observa une nouvelles fois les symboles qui parcouraient sa peau et les caressa du doigt.
Cela faisait près de deux heures que Listair était parti, et Sen n'en pouvait plus d'attendre. Plusieurs médecins étaient venus dans la chambre vérifier que tout allait bien et lui offrir de nouveaux vêtements. Listair devait les avoir averti, car ils ne firent aucune remarque sur les volets fermés et la lumière éteinte. Elle avait également eu le temps de se laver et de s'observer dans le miroir. Elle avait pu voir, toujours à travers cette vue étrange, plongée dans le noir, les symboles gravées sur sa poitrine, sa nuque, autour de son œil. Elle ne se reconnaissait plus. Elle était une Vatar. Elle avait réussi.
Elle avait ensuite revêtu une débardeur noir, une paire de gants en cuir fin et un pantalon souple blanc. Puis elle entendit quelqu'un entrer. Listair était revenu, un paquet à la main. Il demanda à Sen de s'asseoir et le lui tendit. La nouvelle Vatar l'ouvrit à la hâte et découvrit une paire de lunette sombre et étranges. Des boutons et une molette étaient disposés sur le dessus, et les verres semblaient teintés de plusieurs couleurs.
- Qu'est-ce que c'est?
- Considère d'abord ceci comme un présent de la part de ton annonciateur. Ces lunettes t'aideront à supporter la lumière et à t'adapter plus facilement à ta nouvelle vue durant le début de ton entrainement. Dis-toi également que le jour où tu pourras les enlever, alors tu auras maitrisé ton nouveau don.
- Oh...je ne sais pas quoi dire...je...
- Alors ne dis rien. Que penses-tu d'aller vérifier leur fonctionnement dehors?
- Avec plaisir!
Sen suivit Listair dans les couloirs, les yeux clos. Il la guidait en la tenant par la main. Elle entendit un grand grincement, puis le vent fouetter sa peau et jouer dans ses cheveux. Que c'était bon de se retrouver à l'air libre! Les yeux toujours clos, elle mis les lunettes sur son nez, inspira une grande bouffée d'air, puis ouvrit les yeux.
D'abord, la lumière l'aveugla. La main en visière, elle s'obligea à regarder. Tout n'était que lumière, silhouettes éclatantes qu'elle avait du mal à distinguer. Elle se serait cru dans un monde totalement différent de celui qu'elle connaissait. Elle joua sur la molette et les verres s'assombrirent, lui permettant de voir normalement, ou presque...Elle parvenait non seulement à voir dans le noir, mais aussi beaucoup plus loin qu'avant, comme si le monde autour d'elle n'était plus qu'à portée de main.
- Elles ont l'air de fonctionner, annonça Listair avec un sourire. Il est temps pour toi de t'habituer à ta nouvelle vue, mais avant cela...il te faut vérifier ta maitrise des éléments. Suis-moi.
Listair l'emmena dans un dojo extérieur, plus proche du Voile. Il était vraisemblablement fait pour s'entrainer aux maitrises, car tout y était : de la terre, une petite mare, l'air ambiant, et le soleil éclairait une partie du dojo, qui surplombait l'immensité du Voile, en contrebas.
- Comme tu le sais, durant ces dix dernières années, nous vous avons appris non seulement l'art du combat, mais aussi l'art de la Maitrise des éléments, que vous ne maitrisiez pas encore. C'est la vatarstasis qui vous apporte ces dons. Mais il est possible que tu ne maitrises pas tout les éléments, tu es la seule à pouvoir le ressentir. Maintenant, tu vas mettre toutes ces années de théorie en pratique. Puises en toi le Chi dont tu as besoin, et utilises les mouvements que je t'ai appris. Aide-toi de ce qui t'entoure, tu es dans la Nature ici, tout est à ta disposition. Sers-toi des éléments naturels. Commence par la terre.
Sen ferma les yeux et Listair s'éloigna.
Elle se plaça au centre du dojo en pierre et inspira profondément, joignant ses mains au dessus de sa tête. Puis expira en les laissant glisser le long de son corps.
Sentir la Terre. Se fondre en elle.
L'un de ses pieds glissa en avant en arc de cercle.
Le Chi. Celui de la Terre.
Son bras gauche fendit l'air devant elle, poing fermé. Son bras droit, coude plié au dessus de son épaule, paume tournée vers le Soleil.
S'abandonner. Devenir Terre.
Sen rouvrit les yeux dans une dernière expiration. La danse lente et silencieuse qu'elle venait d'accomplir se transforma en combat solitaire effréné. Elle frappa de son talon la terre et fit un moulinet rapide et précis de ses bras. Un morceau de terre d'environ trente centimètres se décolla du sol. Sen tournoya sur elle même et ramena ses mains sur sa poitrine avant de les écarter. Le rocher se divisa en plusieurs morceaux de roches qui s'éparpillèrent un peu partout dans la nature et s'évanouirent dans les buissons. Sen ne s'arrêta pas. Sans se retourner, elle releva sa jambe droite au dessus de son épaule, accompagnant dans son geste un mur de pierre qu'elle envoya s'écraser sur l'un de poteaux du Dojo du plat de la main. Puis se redressa en inspira profondément. Elle n'attendit pas que Listair approuve ou lui fasse des remarques, et enchaina avec l'eau.
Elle ferma de nouveau les yeux et fit d'amples mouvements des bras. Deux serpents d'eau de la mare s'élevèrent dans l'air et tournoyèrent, si vite qu'ils formèrent une mini tornade qui retomba dans l'eau avec puissance.
Puis le Feu. Se tournant vers le Soleil pour y puiser toute l'énergie et la puissance dont elle avait besoin elle, écarta légèrement les pieds l'un de l'autre afin d'être bien ancrée dans le sol, puis fit de nouveau de larges mouvements des bras et des hanches, malaxant son Chi avec la puissance du Soleil. Puis elle écarta les bras, des flammes presque pourpres sortant de ses paumes, si denses qu'on aurait dit une paire d'ailes. Par d'autres mouvements, du corps tout entier cette fois-ci, elle enroula son corps de serpents de feu en tournoyant sur elle-même, avant de s'arrêter, le front baigné de sueur. Les flammes s'éteignirent aussitôt.
L'Air.
Sen inspira profondément et se courba, buste en avant, bras rejoins dans son dos, comme si elle tenait entre ses mains une boule de cristal. Elle comprima tout l'air qu'elle pouvait, et le relâcha d'un coup devant elle, coupant net les feuilles et branchages des buissons.
Un vide se fit ressentir et le noir l'engloutit, tandis qu'elle s'effondrait sur le sol. Ses lunettes sautèrent de son nez et tombèrent un peu plus loin, près de sa main. Listair s'accroupit à côté de Sen et palpa son front.
- Tout cela était très bien...mais bon sang as-tu vu la puissance de tes premières maitrises? Tu n'étais pas totalement remise de la Tarsis et tu t'amuses déjà à tout envoyer d'un coup? Tu es toujours autant impulsive...
Il soupira et la souleva avec une facilité déconcertante. Sen luttait pour garder les yeux ouverts, aveuglée par la lumière du soleil, totalement vidée de ses forces, elle était incapable d'émettre le moindre son, de faire le moindre mouvement. Listair arriva très vite au dortoir et la déposa délicatement sur un lit. Il prit soin de descendre les stores et d'éteindre les lumières, puis sortit. Sen eut tout juste le temps de distinguer sa silhouette avant de tomber dans un sommeil qu'elle ne maitrisait pas.
Listair, assis sur un fauteuil a côté du lit, observait Sen, impassible, et se revit dans cette même posture, des années auparavant. Lui aussi avait du se remettre du choc de la Tarsis, et s'adapter à ses nouveaux dons. Il ferma les yeux et soupira, penchant la tête en arrière.
Sen aurait-elle un donc en particulier? Au vue de l'entendue des tatouages, elle avait une bonne maitrise d'elle même, et avait un potentiel incontestable. Il n'avait eu qu'à croiser son regard pour savoir que jamais elle n'abandonnerai. Qu'elle deviendrait quelqu'un de fort. Une Vatar digne de ce nom. Plongé dans ses pensées, il s'accorda quelque temps pour dormir.
Le lendemain matin, Sen commença à bouger. Elle remua d'abord la tête et inspira de grandes bouffées d'air, la gorge sèche. Elle avait très chaud d'un coup, la fièvre était tombée. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la première chose qu'elle vit fut une lumière aveuglante qui lui brûla les yeux. Elle plaqua les mains sur ses paupières refermées, et attendit un certain temps avant de les rouvrir. Même chose. Elle tenta de regarder ailleurs, mais la lumière était toujours aussi aveuglante. Elle se redressa en position assise, et attendit, mains sur le visage.
Listair entra à ce moment dans la chambre, un plateau en inox dans les mains et de la nourriture. Il s'arrêta lorsqu'il vit Sen réveillée et accourut vers elle, posant le plateau sur un chariot.
- Tout va bien? Tu devrais te rallonger. Tu n'es pas totalement prête.
- Qu'on éteigne ces lumières!
- La lumière?
Listair leva les yeux vers le plafond. Les néons étaient allumés mais diffusaient une lumière pâle et douce. Le soleil pénétrait par la fenêtre et éclairait la pièce.
- Que se passe t-il?
- Il y a trop de lumière, je ne vois rien! Elle me brûle les yeux !
- Très bien, je vais éteindre!
Il ferma la fenêtre puis baissa le rideau, et éteignit la pièce. Il se retrouva dans une obscurité presque totale, hormis la lumière diffusée par les interstices de la fenêtre et de la porte.
- Ouvre les yeux maintenant.
Sen ôta ses mains et ouvrit les yeux. La lumière avait disparut, certes, mais quelque chose n'allait pas. Sa vision avait changé. Elle ne voyait pas les couleurs, et distinguait pourtant tout ce qui se trouvait dans la pièce. Le lit, le fauteuil, le chariot, la fenêtre, dont les contours l'éblouirent, puis Listair. Elle eut un mouvement de recul en l'apercevant. Les marques qui striaient sa peau luisaient d'une couleur bleue-argentée qui contrastaient étrangement avec le noir qui régnait dans la pièce. Ces yeux brillaient eux aussi.
- Sen, est-ce que tout va bien?
Sen ne répondit pas, la bouche entrouverte, et baissa immédiatement la tête sur ses mains et ses bras. Là, elle vit les marques. Elles aussi scintillaient, plus vivement que celles de Listair, d'une lueur argentée. Elles grimpaient le long de son bras droit puis disparaissaient hors de sa vue. Elle palpa son visage, ne sentit rien.
- Sen...
Elle se tourna de nouveau vers Listair, qui l'observait avec appréhension.
- Je...je vous vois!
- Je te vois aussi Sen...
- Non, je veux dire...je vois dans le noir! Je distingue tout! Je...Ça alors!
Listair parut stupéfait, puis réfléchit. Mais oui! Sen avait toujours eu une vue excellente, surprenante même. La Vatarstasis devait lui avoir fait ce don !
Listair sourit et s'approcha de Sen, posa ses mains sur ses épaules.
- Sen, tu es l'une des rares élues de la Vatarstasis. Cet aspect là est souvent le moins connu, mais tu en savais un minimum. Lors de la Vatarstasis, certaines personnes en ressortent changées, non seulement par leurs maitrises de éléments, mais aussi un don qui peut lui être...disons..."ajouté". Le plus souvent, ce don correspond à une capacité plus développée que l'humain possédait déjà au préalable. Et si je ne me trompe pas, tu as toujours eu une très bonne vue non?
Sen sourit à son tour, et hocha la tête.
- Mais qui dit un don en plus, dit plus d'entrainement, jeune Sen. Tu as devant toi un mois durant lequel tu vas pouvoir t'entrainer et maitriser pleinement tes nouvelles aptitudes. Un mois durant lequel je t'épaulerai. Puis tu devras passer la cérémonie d'intronisation durant laquelle tu choisiras ton métier et ta voie. Ton don devra être démontré, et il t'aidera à choisir.
- Seulement un mois?! Mais si je ne parviens pas à maitriser parfaitement cette...nouvelle vue, comment ferai-je?
- Pars du principe que tu y arriveras, veux-tu? De plus...Qui sait vraiment quel est ton don? Personne n'a les moyens de savoir jusqu'où tu peux aller. Profites-en. Mais pour le moment, il me reste quelque chose à voir avec les médecins et les chercheurs. Restes-ici et mange, je repasserai te voir toute à l'heure.
Sen hocha de nouveau la tête. Listair s'apprêtait à sortir lorsqu'elle l'interpella :
- Et...qu'en est-il de Hoan?
Listair s'arrêta et se retourna. Un sourire étirait ses lèvres.
- Il va très bien. Vous vous verrez une fois remis, en attendant, mange!
Puis il sortit. Sen se laissa tomber sur son lit et leva ses mains au dessus d'elle. Elle observa une nouvelles fois les symboles qui parcouraient sa peau et les caressa du doigt.
***
Cela faisait près de deux heures que Listair était parti, et Sen n'en pouvait plus d'attendre. Plusieurs médecins étaient venus dans la chambre vérifier que tout allait bien et lui offrir de nouveaux vêtements. Listair devait les avoir averti, car ils ne firent aucune remarque sur les volets fermés et la lumière éteinte. Elle avait également eu le temps de se laver et de s'observer dans le miroir. Elle avait pu voir, toujours à travers cette vue étrange, plongée dans le noir, les symboles gravées sur sa poitrine, sa nuque, autour de son œil. Elle ne se reconnaissait plus. Elle était une Vatar. Elle avait réussi.
Elle avait ensuite revêtu une débardeur noir, une paire de gants en cuir fin et un pantalon souple blanc. Puis elle entendit quelqu'un entrer. Listair était revenu, un paquet à la main. Il demanda à Sen de s'asseoir et le lui tendit. La nouvelle Vatar l'ouvrit à la hâte et découvrit une paire de lunette sombre et étranges. Des boutons et une molette étaient disposés sur le dessus, et les verres semblaient teintés de plusieurs couleurs.
- Qu'est-ce que c'est?
- Considère d'abord ceci comme un présent de la part de ton annonciateur. Ces lunettes t'aideront à supporter la lumière et à t'adapter plus facilement à ta nouvelle vue durant le début de ton entrainement. Dis-toi également que le jour où tu pourras les enlever, alors tu auras maitrisé ton nouveau don.
- Oh...je ne sais pas quoi dire...je...
- Alors ne dis rien. Que penses-tu d'aller vérifier leur fonctionnement dehors?
- Avec plaisir!
Sen suivit Listair dans les couloirs, les yeux clos. Il la guidait en la tenant par la main. Elle entendit un grand grincement, puis le vent fouetter sa peau et jouer dans ses cheveux. Que c'était bon de se retrouver à l'air libre! Les yeux toujours clos, elle mis les lunettes sur son nez, inspira une grande bouffée d'air, puis ouvrit les yeux.
D'abord, la lumière l'aveugla. La main en visière, elle s'obligea à regarder. Tout n'était que lumière, silhouettes éclatantes qu'elle avait du mal à distinguer. Elle se serait cru dans un monde totalement différent de celui qu'elle connaissait. Elle joua sur la molette et les verres s'assombrirent, lui permettant de voir normalement, ou presque...Elle parvenait non seulement à voir dans le noir, mais aussi beaucoup plus loin qu'avant, comme si le monde autour d'elle n'était plus qu'à portée de main.
- Elles ont l'air de fonctionner, annonça Listair avec un sourire. Il est temps pour toi de t'habituer à ta nouvelle vue, mais avant cela...il te faut vérifier ta maitrise des éléments. Suis-moi.
Listair l'emmena dans un dojo extérieur, plus proche du Voile. Il était vraisemblablement fait pour s'entrainer aux maitrises, car tout y était : de la terre, une petite mare, l'air ambiant, et le soleil éclairait une partie du dojo, qui surplombait l'immensité du Voile, en contrebas.
- Comme tu le sais, durant ces dix dernières années, nous vous avons appris non seulement l'art du combat, mais aussi l'art de la Maitrise des éléments, que vous ne maitrisiez pas encore. C'est la vatarstasis qui vous apporte ces dons. Mais il est possible que tu ne maitrises pas tout les éléments, tu es la seule à pouvoir le ressentir. Maintenant, tu vas mettre toutes ces années de théorie en pratique. Puises en toi le Chi dont tu as besoin, et utilises les mouvements que je t'ai appris. Aide-toi de ce qui t'entoure, tu es dans la Nature ici, tout est à ta disposition. Sers-toi des éléments naturels. Commence par la terre.
Sen ferma les yeux et Listair s'éloigna.
Elle se plaça au centre du dojo en pierre et inspira profondément, joignant ses mains au dessus de sa tête. Puis expira en les laissant glisser le long de son corps.
Sentir la Terre. Se fondre en elle.
L'un de ses pieds glissa en avant en arc de cercle.
Le Chi. Celui de la Terre.
Son bras gauche fendit l'air devant elle, poing fermé. Son bras droit, coude plié au dessus de son épaule, paume tournée vers le Soleil.
S'abandonner. Devenir Terre.
Sen rouvrit les yeux dans une dernière expiration. La danse lente et silencieuse qu'elle venait d'accomplir se transforma en combat solitaire effréné. Elle frappa de son talon la terre et fit un moulinet rapide et précis de ses bras. Un morceau de terre d'environ trente centimètres se décolla du sol. Sen tournoya sur elle même et ramena ses mains sur sa poitrine avant de les écarter. Le rocher se divisa en plusieurs morceaux de roches qui s'éparpillèrent un peu partout dans la nature et s'évanouirent dans les buissons. Sen ne s'arrêta pas. Sans se retourner, elle releva sa jambe droite au dessus de son épaule, accompagnant dans son geste un mur de pierre qu'elle envoya s'écraser sur l'un de poteaux du Dojo du plat de la main. Puis se redressa en inspira profondément. Elle n'attendit pas que Listair approuve ou lui fasse des remarques, et enchaina avec l'eau.
Elle ferma de nouveau les yeux et fit d'amples mouvements des bras. Deux serpents d'eau de la mare s'élevèrent dans l'air et tournoyèrent, si vite qu'ils formèrent une mini tornade qui retomba dans l'eau avec puissance.
Puis le Feu. Se tournant vers le Soleil pour y puiser toute l'énergie et la puissance dont elle avait besoin elle, écarta légèrement les pieds l'un de l'autre afin d'être bien ancrée dans le sol, puis fit de nouveau de larges mouvements des bras et des hanches, malaxant son Chi avec la puissance du Soleil. Puis elle écarta les bras, des flammes presque pourpres sortant de ses paumes, si denses qu'on aurait dit une paire d'ailes. Par d'autres mouvements, du corps tout entier cette fois-ci, elle enroula son corps de serpents de feu en tournoyant sur elle-même, avant de s'arrêter, le front baigné de sueur. Les flammes s'éteignirent aussitôt.
L'Air.
Sen inspira profondément et se courba, buste en avant, bras rejoins dans son dos, comme si elle tenait entre ses mains une boule de cristal. Elle comprima tout l'air qu'elle pouvait, et le relâcha d'un coup devant elle, coupant net les feuilles et branchages des buissons.
Un vide se fit ressentir et le noir l'engloutit, tandis qu'elle s'effondrait sur le sol. Ses lunettes sautèrent de son nez et tombèrent un peu plus loin, près de sa main. Listair s'accroupit à côté de Sen et palpa son front.
- Tout cela était très bien...mais bon sang as-tu vu la puissance de tes premières maitrises? Tu n'étais pas totalement remise de la Tarsis et tu t'amuses déjà à tout envoyer d'un coup? Tu es toujours autant impulsive...
Il soupira et la souleva avec une facilité déconcertante. Sen luttait pour garder les yeux ouverts, aveuglée par la lumière du soleil, totalement vidée de ses forces, elle était incapable d'émettre le moindre son, de faire le moindre mouvement. Listair arriva très vite au dortoir et la déposa délicatement sur un lit. Il prit soin de descendre les stores et d'éteindre les lumières, puis sortit. Sen eut tout juste le temps de distinguer sa silhouette avant de tomber dans un sommeil qu'elle ne maitrisait pas.
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Sen se réveilla en sursaut le lendemain matin, plongée dans une semi-obscurité. Elle avait chaud, des mèches de ses cheveux collaient contre ses tempes humides de sueur. Elle se redressa et observa autour d'elle, tentant de calmer les battements fougueux de son cœur. Elle se trouvait dans une chambre différente de celle dans laquelle elle avait dormi toutes ces années, à lit unique. Elle se dirigea dans la petite salle de bain au fond de la pièce et plongea son visage dans l'eau gelée, avant d'observer de nouveau son reflet dans le miroir, s'étonnant encore et toujours des marques qui parcouraient sa peau, qu'elle caressait du doigt.
Elle s'empressa ensuite de prendre une douche et d'enfiler de nouveaux vêtements, ainsi que la paire de lunettes qui reposait constamment sur son nez.
Une fois prête, elle sortit de la chambre. Le couloir qu'elle arpentait lui était inconnu, et d'autres numéros ornaient les portes. Alors qu'elle continuait d'avancer tout en fixant celui de sa propre porte, elle heurta quelqu'un de plein fouet.
- Oh excusez-moi je...
Sen se tut. Jirok et Listair se tenaient là, devant elle, le premier l'observant avec un interêt nouveau et un sourire narquois sur les lèvres, le deuxième d'un naturel toujours aussi calme lui sourit.
- Ça alors, la gamine que je ramasse à l'école devenue Vatar! s'exclama Jirok. Les marques n'ont pas l'air très étendues, tu dois plutôt bien te débrouiller. Je n'ai pas eu l'occasion de voir ce que tu valais durant toutes ces années, mais je suis certain que Listair s'est bien occupé de toi, hum?
- Euh...oui, répondit Sen, sans trop comprendre.
- Eh bien allons vérifier ça, tu veux?
Jirok ricana et se repartit dans le sens inverse. Listair souriait toujours. Sen tenta de chercher un certain réconfort dans son regard mais il restait impassible, hormis ce sourire étrange, presque impatient. Sen les suivit dans le couloir et apprit par la suite qu'elle était dans les appartements réservés aux Vatars, plus précisément pour les "jeunes Vatars", ceux qui n'avaient pas encore passé leur cérémonie d'intronisation. Elle rencontra sur son chemin plusieurs filles et garçons de son âge ou plus vieux. Tous avaient des marques sur le corps, uniques pour chacun d'eux. Elle reporta son attention sur les siennes. Elles prenaient la forme de traits verticaux et horizontaux formant une sorte de circuit. Perdue dans ses pensées, elle en fut tirée par les grincements aigus de la porte métallique menant au dehors, où le soleil inondait le district. Ils continuèrent à marcher vers un autre bâtiment qu'elle connaissait bien : le gymnase. La pièce était immense. Les murs, en panneaux japonais, laissaient entrer la lumière du soleil avec délicatesse. Le sol était couvert de tatamis beiges, et huit poutres en bois, quatre de chaque côté, retenaient le plafond. Listair et Jirok se retournèrent alors vers elle.
- Sen, nous avons eu la brillante idée de t'entrainer. Seulement, cet entrainement sera...différent de ceux que tu as pu faire jusqu'à présent. Non seulement tu devras utiliser tes capacités physiques mais aussi celles que tu viens d'acquérir, celles des Éléments. Sachant que tu es ici, il vaudrait mieux te contenter simplement de l'air. Mais l'adversaire que nous t'avons choisi n'est pas n'importe qui, c'est cela qui fera de cet entrainement sa particularité.
Jirok ricana de nouveau et fit demi-tour, se dirigeant vers le fond du gymnase. Listair, debout devant Sen, lui cachait la vue.
- Patiente, lui conseilla-t-il.
- Mais...
- Sen, nous allons voir lequel de vous deux est le plus fort ! cria Jirok de l'autre bout de la pièce. Que le combat commence!
Listair plongea ses yeux dans ceux de Sen et sourit de nouveau, avec un bref hochement de tête que la jeune femme comprit comme un encouragement, avant de s'écarter. Sen put alors distinguer quelqu'un au fond du gymnase, assis en tailleur, lui tournant le dos. Ce corps lui était étrangement familier...C'était un garçon, vu la musculature de son dos et de ses épaules.
Il se leva, puis fit face à Sen.
La jeune fille eut d'abord un mouvement de recul puis avança d'un pas, puis de deux.
- Hoan !
Tandis qu'il ne lui restait plus que quelques mètres pour parvenir jusqu'à lui, elle se stoppa. Hoan la regardait fixement, comme s'il ne l'avait pas vu depuis des siècles. Son regard s'égara sur les marques sombres qui sillonnaient sa peau, ainsi que sur ses lunettes, puis il sourit. Sen, elle, ne souriait pas. Elle cherchait, elle observait la moindre parcelle de son corps, mais...il n'y avait pas de marques.
- Hoan...tu...
Sen s'approcha encore de lui lorsqu'il ôta son tee-shirt. Là, Sen retint un cri de surprise. Des marques prenant la forme de vagues sinueuses tapissaient son torse tout entier, luisant d'un éclat bleuté. Hoan jeta son tee-shirt derrière-lui en se retournant assez pour que son amie voit les vagues s'étendre aussi sur son dos. Le jeune Vatar soupira en fermant les yeux, immobile.
Et passa à l'attaque. Il fut si rapide que Sen n'eut presque pas le temps d'esquiver. Presque. Sa paume ne fit qu'effleurer sa poitrine à l'endroit où battait son cœur, où Sen se trouvait une seconde auparavant. Exécutant une souplesse arrière précise et rapide, elle retomba sur ses deux pieds, légèrement courbée en avant.
- Alors voilà l'entrainement, murmura t-elle.
Un sourire exalté étira ses lèvres lorsqu'elle attaqua à son tour. Elle se propulsa en avant et fendit l'air du tranchant de ses main, ramenant son talon par dessus son épaule, pivotant sur elle même, se courbant, roulant, bondissant.
Chacun de ses coups était esquivé ou bloqué. Tout cela ne menait à rien. Sen recula de plusieurs pas, accroupie sur le sol, parée à bondir. Hoan préférait rester debout, en position d'attaque.
Sen sourit. Son ami avait toujours été un excellent combattant. Rares furent les fois où elle put l'affronter directement, et lorsque ce fut le cas, aucun d'eux ne gagna jamais.
Sen bondit alors en avant et position d'équilibre, balança ses jambes autour d'elle. Hoan esquiva de nouveau, et saisit l'une des chevilles de son adversaire. Sen, les mains toujours à terre, tourna sur elle même et frappa de son talon au niveau du poignet d'Hoan, qui lâcha automatiquement, puis se recula de nouveau.
Non seulement tu devras utiliser tes capacités physiques mais aussi celles que tu viens d'acquérir, celles des Éléments.
Sen se redressa et inspira profondément, sans quitter Hoan des yeux. Puis se précipita en avant. Elle balança ses poings, ses genoux, sans jamais atteindre la moindre parcelle du corps de son ami. Alors qu'il parvint à bloquer ses deux poignets, Sen sourit. Aussi rapide que l'éclair, elle ramena son pied au dessus de son épaule et frappa de plein fouet le visage de son adversaire, qui la lâcha aussitôt.
Non seulement le frappa, mais l'envoya valsé un mètre plus loin par la force de l'Air qu'elle avait combiné à son attaque physique.
Derrière elle, Listair sourit et hocha la tête avec enthousiasme. Jirok, lui, resta impassible.
Hoan se releva avec lenteur. Les muscles de ses bras et de son dos saillaient avec puissance. Il riait.
- C'était bien joué. Tu m'as eu sur ce coup là.
Sen ne répliqua pas, mais un sourire fier étira ses lèvres. Hoan fonça vers elle, à une vitesse telle qu'elle ne put éviter le coup violent de son pied contre sa cheville, qui la fit tomber. Mais ce n'était pas comme cela qu'il allait l'avoir. D'une roulade rapide sur la gauche elle se releva et bondit à son tour. Hoan, toujours à terre, ne bougea qu'au dernier moment et envoya une bourrasque au plein creux de son estomac et l'envoya sur l'une des poutres en bois qui se fissura largement sous son poids, tandis que ses lunettes volèrent à un mètre d'elle. Sen tomba à plat ventre sur le sol, sonnée, la respiration coupée. Hoan se releva, sur ses gardes, le visage parcouru d'un doute. N'avait-il pas été trop violent avec elle?
Sen se releva à quatre pattes et inspira de grandes bouffées d'air avant d'essuyer le sang qui coulait le long de sa bouche. Souriant, les yeux clos. Listair ne bougea pas d'un poil en la voyant ainsi désarmée, mais Hoan paraissait inquiet. Il ramassa ses lunettes tombées à ses pieds et s'approcha pour lui rendre.
Sen, immobile et privée de sa vue, se fia à son ouïe et à son instinct. Pour être sûre, elle suivit ce que lui murmurait l'air, laissant son esprit divaguer. Hoan tendit le bras, Sen s'en empara avec vivacité et planta ses doigts au creux de son avant bras, pivota sur elle-même pour atteindre l'autre bras mais fut de nouveau repoussée par un écran d'air qui l'envoya de nouveau rouler à terre.
Le visage d'Hoan s'était crispé, il tenait son bras gauche, inerte. Il lui faudrait au moins une heure avant de récupérer l'usage complet de son bras à présent...Il observa Sen qui se relevait de nouveau en haletant, les yeux clos. Mais pourquoi n'ouvrait-elle pas les yeux? Et a quoi donc servaient ces lunettes? Il ne comprenait plus...
La jeune Vatar se redressa sur un pied, un genou encore à terre et inspira de nouveau.
°°C'est le moment ou jamais de m'entrainer...°°
Elle ouvrit les yeux. La lumière l'aveugla d'abord, mais elle refusa de refermer ne serait-ce qu'une fois les yeux, et les garda fixés sur Hoan, ignorant la brûlure du soleil a travers les panneaux. C'était cela...ignorer le monde d'autour, se concentrer sur sa cible. De là où elle était, Sen parvenait à voir les gouttes de sueur qui perlaient son front, son torse se soulever en un rythme régulier, ses cheveux humides coller ses tempes...Chaque détail, elle l'apercevait.
Elle se redressa de tout son long, sachant exactement ce qu'elle devait faire. La Vatarstasis ne lui avait pas offert ce don pour rien, elle devait s'en servir, observer, être attentive au moindre mouvement. Prévoir le moindre mouvement. Elle plia les genoux, les pieds légèrement écartés l'un de l'autre, et ramena sa main devant elle, indiquant à Hoan qu'il approche. Et dans un flot de lumières, elle le vit arriver sur elle, comme au ralenti. Elle aperçut sa main droite viser son cou, l'évita. Elle vit son pied fuser vers son genou, elle pivota. Elle vit son coude chercher ses côtés, elle se courba. Elle vit son pied décrire un arc de cercle sur le sol et son bras fendre l'air, invisibles pour celui qui ne savait pas voir. Mais Sen voyait, et exécuta les mêmes mouvements que son adversaire. S'ensuivit alors une sorte d'explosion qui les envoya tout deux à chaque extrémité du gymnase lorsque leur écran d'air se heurta. Sen retomba sur ses pieds et glissa sur les tatamis, pour repartir aussitôt à l'attaque. Hoan, qui ne comprit pas ce qui s'était passé, resta accroupi, le bras gauche pendant lamentablement sur le sol. Il serra les dents.
Sen cria lorsqu'elle balança ses poings, ses coudes, ses genoux, ses talons sur Hoan, qui les évitait tous de justesse. Des cris sauvages qui lui redonnaient de la force et déstabilisaient l'ennemi. C'est alors qu'elle atteignit Hoan d'un coup de genoux dans le plexus solaire, l'envoyant automatiquement au sol, et le maintint à terre d'une main sur l'épaule, l'autre plaquée contre sa gorge.
Le combat était fini. Sen haletait, puis sourit. L'index et le majeurs d'Hoan effleuraient le creux de sa poitrine. Un coup fatal, tout comme le sien. Sen ôta sa main et se laissa tomber sur le côté, plaquant sa main contre ses yeux. C'était comme si des flammes les dévoraient de l'intérieur. Hoan se redressa.
- Sen...tu...tu saignes!
Sen recula ses mains et observa ses paumes, tâchées de sang. Des larmes pourpres coulaient de ses yeux, fines et chaudes, laissant une trainée rougeâtre sur ses joues. Listair et Jirok s'avancèrent. Aucun d'eux ne mentionna le combat, mais furent d'accord sur un point : leurs deux élèves étaient très doués. Listair aida Sen à se relever et lui tendit un mouchoir blanc et humide qu'elle plaqua sur son visage. Il remercia Hoan et Jirok d'un hochement de tête et sortit du gymnase avec la jeune Vatar.
Elle s'empressa ensuite de prendre une douche et d'enfiler de nouveaux vêtements, ainsi que la paire de lunettes qui reposait constamment sur son nez.
Une fois prête, elle sortit de la chambre. Le couloir qu'elle arpentait lui était inconnu, et d'autres numéros ornaient les portes. Alors qu'elle continuait d'avancer tout en fixant celui de sa propre porte, elle heurta quelqu'un de plein fouet.
- Oh excusez-moi je...
Sen se tut. Jirok et Listair se tenaient là, devant elle, le premier l'observant avec un interêt nouveau et un sourire narquois sur les lèvres, le deuxième d'un naturel toujours aussi calme lui sourit.
- Ça alors, la gamine que je ramasse à l'école devenue Vatar! s'exclama Jirok. Les marques n'ont pas l'air très étendues, tu dois plutôt bien te débrouiller. Je n'ai pas eu l'occasion de voir ce que tu valais durant toutes ces années, mais je suis certain que Listair s'est bien occupé de toi, hum?
- Euh...oui, répondit Sen, sans trop comprendre.
- Eh bien allons vérifier ça, tu veux?
Jirok ricana et se repartit dans le sens inverse. Listair souriait toujours. Sen tenta de chercher un certain réconfort dans son regard mais il restait impassible, hormis ce sourire étrange, presque impatient. Sen les suivit dans le couloir et apprit par la suite qu'elle était dans les appartements réservés aux Vatars, plus précisément pour les "jeunes Vatars", ceux qui n'avaient pas encore passé leur cérémonie d'intronisation. Elle rencontra sur son chemin plusieurs filles et garçons de son âge ou plus vieux. Tous avaient des marques sur le corps, uniques pour chacun d'eux. Elle reporta son attention sur les siennes. Elles prenaient la forme de traits verticaux et horizontaux formant une sorte de circuit. Perdue dans ses pensées, elle en fut tirée par les grincements aigus de la porte métallique menant au dehors, où le soleil inondait le district. Ils continuèrent à marcher vers un autre bâtiment qu'elle connaissait bien : le gymnase. La pièce était immense. Les murs, en panneaux japonais, laissaient entrer la lumière du soleil avec délicatesse. Le sol était couvert de tatamis beiges, et huit poutres en bois, quatre de chaque côté, retenaient le plafond. Listair et Jirok se retournèrent alors vers elle.
- Sen, nous avons eu la brillante idée de t'entrainer. Seulement, cet entrainement sera...différent de ceux que tu as pu faire jusqu'à présent. Non seulement tu devras utiliser tes capacités physiques mais aussi celles que tu viens d'acquérir, celles des Éléments. Sachant que tu es ici, il vaudrait mieux te contenter simplement de l'air. Mais l'adversaire que nous t'avons choisi n'est pas n'importe qui, c'est cela qui fera de cet entrainement sa particularité.
Jirok ricana de nouveau et fit demi-tour, se dirigeant vers le fond du gymnase. Listair, debout devant Sen, lui cachait la vue.
- Patiente, lui conseilla-t-il.
- Mais...
- Sen, nous allons voir lequel de vous deux est le plus fort ! cria Jirok de l'autre bout de la pièce. Que le combat commence!
Listair plongea ses yeux dans ceux de Sen et sourit de nouveau, avec un bref hochement de tête que la jeune femme comprit comme un encouragement, avant de s'écarter. Sen put alors distinguer quelqu'un au fond du gymnase, assis en tailleur, lui tournant le dos. Ce corps lui était étrangement familier...C'était un garçon, vu la musculature de son dos et de ses épaules.
Il se leva, puis fit face à Sen.
La jeune fille eut d'abord un mouvement de recul puis avança d'un pas, puis de deux.
- Hoan !
Tandis qu'il ne lui restait plus que quelques mètres pour parvenir jusqu'à lui, elle se stoppa. Hoan la regardait fixement, comme s'il ne l'avait pas vu depuis des siècles. Son regard s'égara sur les marques sombres qui sillonnaient sa peau, ainsi que sur ses lunettes, puis il sourit. Sen, elle, ne souriait pas. Elle cherchait, elle observait la moindre parcelle de son corps, mais...il n'y avait pas de marques.
- Hoan...tu...
Sen s'approcha encore de lui lorsqu'il ôta son tee-shirt. Là, Sen retint un cri de surprise. Des marques prenant la forme de vagues sinueuses tapissaient son torse tout entier, luisant d'un éclat bleuté. Hoan jeta son tee-shirt derrière-lui en se retournant assez pour que son amie voit les vagues s'étendre aussi sur son dos. Le jeune Vatar soupira en fermant les yeux, immobile.
Et passa à l'attaque. Il fut si rapide que Sen n'eut presque pas le temps d'esquiver. Presque. Sa paume ne fit qu'effleurer sa poitrine à l'endroit où battait son cœur, où Sen se trouvait une seconde auparavant. Exécutant une souplesse arrière précise et rapide, elle retomba sur ses deux pieds, légèrement courbée en avant.
- Alors voilà l'entrainement, murmura t-elle.
Un sourire exalté étira ses lèvres lorsqu'elle attaqua à son tour. Elle se propulsa en avant et fendit l'air du tranchant de ses main, ramenant son talon par dessus son épaule, pivotant sur elle même, se courbant, roulant, bondissant.
Chacun de ses coups était esquivé ou bloqué. Tout cela ne menait à rien. Sen recula de plusieurs pas, accroupie sur le sol, parée à bondir. Hoan préférait rester debout, en position d'attaque.
Sen sourit. Son ami avait toujours été un excellent combattant. Rares furent les fois où elle put l'affronter directement, et lorsque ce fut le cas, aucun d'eux ne gagna jamais.
Sen bondit alors en avant et position d'équilibre, balança ses jambes autour d'elle. Hoan esquiva de nouveau, et saisit l'une des chevilles de son adversaire. Sen, les mains toujours à terre, tourna sur elle même et frappa de son talon au niveau du poignet d'Hoan, qui lâcha automatiquement, puis se recula de nouveau.
Non seulement tu devras utiliser tes capacités physiques mais aussi celles que tu viens d'acquérir, celles des Éléments.
Sen se redressa et inspira profondément, sans quitter Hoan des yeux. Puis se précipita en avant. Elle balança ses poings, ses genoux, sans jamais atteindre la moindre parcelle du corps de son ami. Alors qu'il parvint à bloquer ses deux poignets, Sen sourit. Aussi rapide que l'éclair, elle ramena son pied au dessus de son épaule et frappa de plein fouet le visage de son adversaire, qui la lâcha aussitôt.
Non seulement le frappa, mais l'envoya valsé un mètre plus loin par la force de l'Air qu'elle avait combiné à son attaque physique.
Derrière elle, Listair sourit et hocha la tête avec enthousiasme. Jirok, lui, resta impassible.
Hoan se releva avec lenteur. Les muscles de ses bras et de son dos saillaient avec puissance. Il riait.
- C'était bien joué. Tu m'as eu sur ce coup là.
Sen ne répliqua pas, mais un sourire fier étira ses lèvres. Hoan fonça vers elle, à une vitesse telle qu'elle ne put éviter le coup violent de son pied contre sa cheville, qui la fit tomber. Mais ce n'était pas comme cela qu'il allait l'avoir. D'une roulade rapide sur la gauche elle se releva et bondit à son tour. Hoan, toujours à terre, ne bougea qu'au dernier moment et envoya une bourrasque au plein creux de son estomac et l'envoya sur l'une des poutres en bois qui se fissura largement sous son poids, tandis que ses lunettes volèrent à un mètre d'elle. Sen tomba à plat ventre sur le sol, sonnée, la respiration coupée. Hoan se releva, sur ses gardes, le visage parcouru d'un doute. N'avait-il pas été trop violent avec elle?
Sen se releva à quatre pattes et inspira de grandes bouffées d'air avant d'essuyer le sang qui coulait le long de sa bouche. Souriant, les yeux clos. Listair ne bougea pas d'un poil en la voyant ainsi désarmée, mais Hoan paraissait inquiet. Il ramassa ses lunettes tombées à ses pieds et s'approcha pour lui rendre.
Sen, immobile et privée de sa vue, se fia à son ouïe et à son instinct. Pour être sûre, elle suivit ce que lui murmurait l'air, laissant son esprit divaguer. Hoan tendit le bras, Sen s'en empara avec vivacité et planta ses doigts au creux de son avant bras, pivota sur elle-même pour atteindre l'autre bras mais fut de nouveau repoussée par un écran d'air qui l'envoya de nouveau rouler à terre.
Le visage d'Hoan s'était crispé, il tenait son bras gauche, inerte. Il lui faudrait au moins une heure avant de récupérer l'usage complet de son bras à présent...Il observa Sen qui se relevait de nouveau en haletant, les yeux clos. Mais pourquoi n'ouvrait-elle pas les yeux? Et a quoi donc servaient ces lunettes? Il ne comprenait plus...
La jeune Vatar se redressa sur un pied, un genou encore à terre et inspira de nouveau.
°°C'est le moment ou jamais de m'entrainer...°°
Elle ouvrit les yeux. La lumière l'aveugla d'abord, mais elle refusa de refermer ne serait-ce qu'une fois les yeux, et les garda fixés sur Hoan, ignorant la brûlure du soleil a travers les panneaux. C'était cela...ignorer le monde d'autour, se concentrer sur sa cible. De là où elle était, Sen parvenait à voir les gouttes de sueur qui perlaient son front, son torse se soulever en un rythme régulier, ses cheveux humides coller ses tempes...Chaque détail, elle l'apercevait.
Elle se redressa de tout son long, sachant exactement ce qu'elle devait faire. La Vatarstasis ne lui avait pas offert ce don pour rien, elle devait s'en servir, observer, être attentive au moindre mouvement. Prévoir le moindre mouvement. Elle plia les genoux, les pieds légèrement écartés l'un de l'autre, et ramena sa main devant elle, indiquant à Hoan qu'il approche. Et dans un flot de lumières, elle le vit arriver sur elle, comme au ralenti. Elle aperçut sa main droite viser son cou, l'évita. Elle vit son pied fuser vers son genou, elle pivota. Elle vit son coude chercher ses côtés, elle se courba. Elle vit son pied décrire un arc de cercle sur le sol et son bras fendre l'air, invisibles pour celui qui ne savait pas voir. Mais Sen voyait, et exécuta les mêmes mouvements que son adversaire. S'ensuivit alors une sorte d'explosion qui les envoya tout deux à chaque extrémité du gymnase lorsque leur écran d'air se heurta. Sen retomba sur ses pieds et glissa sur les tatamis, pour repartir aussitôt à l'attaque. Hoan, qui ne comprit pas ce qui s'était passé, resta accroupi, le bras gauche pendant lamentablement sur le sol. Il serra les dents.
Sen cria lorsqu'elle balança ses poings, ses coudes, ses genoux, ses talons sur Hoan, qui les évitait tous de justesse. Des cris sauvages qui lui redonnaient de la force et déstabilisaient l'ennemi. C'est alors qu'elle atteignit Hoan d'un coup de genoux dans le plexus solaire, l'envoyant automatiquement au sol, et le maintint à terre d'une main sur l'épaule, l'autre plaquée contre sa gorge.
Le combat était fini. Sen haletait, puis sourit. L'index et le majeurs d'Hoan effleuraient le creux de sa poitrine. Un coup fatal, tout comme le sien. Sen ôta sa main et se laissa tomber sur le côté, plaquant sa main contre ses yeux. C'était comme si des flammes les dévoraient de l'intérieur. Hoan se redressa.
- Sen...tu...tu saignes!
Sen recula ses mains et observa ses paumes, tâchées de sang. Des larmes pourpres coulaient de ses yeux, fines et chaudes, laissant une trainée rougeâtre sur ses joues. Listair et Jirok s'avancèrent. Aucun d'eux ne mentionna le combat, mais furent d'accord sur un point : leurs deux élèves étaient très doués. Listair aida Sen à se relever et lui tendit un mouchoir blanc et humide qu'elle plaqua sur son visage. Il remercia Hoan et Jirok d'un hochement de tête et sortit du gymnase avec la jeune Vatar.
Re: [Chapitre 1] Au fil des années...
Un mois était passé depuis la Vatarstasis, et Sen était prête à passer la Cérémonie d'Intronisation. Elle avait su maitriser non seulement tout les éléments, se les approprier en créant des techniques, mais aussi et surtout sa vue, son point fort dans les combats. Peu de Vatars étaient au courant de son aptitude, et il en était de même pour chaque Vatar récompensé par la Tarsis. "Chaque Vatar est libre de dévoiler son don Sen, mais sache que chaque don est unique et personnel", c'était une phrase que Listair lui avait dévoilée lorsqu'elle l'avait interrogé sur son don à lui, car elle était sûre qu'il en possédait un. Depuis cet instant, plus jamais il n'en avait parlé.
Bien après la Vatarstasis, Sen apprit qu'Hoan n'avait rien eu de plus que la maitrise des éléments dont il se servait à la quasi-perfection. Il s'était découvert une affinité avec l'eau, et utilisait la plupart du temps cet élément en combat. Sen, elle, n'avait pas réussi à trouver ce lien qui l'unissait avec un élément plutôt qu'un autre. Listair lui avait dit qu'elle n'était pas encore prête, mais elle, craignait qu'il n'en existait aucun. Elle maitrisait chaque élément de la même manière, sans préférence ni affection pour l'un d'entre eux, et se devait de compter sur le même plan ses activités physiques.
Elle s'était pour cela entrainée nuit et jour. La journée, elle passait la quasi totalité de son temps pour la Maitrise des éléments, par une méditation en se levant, puis le combat en solitaire ou avec Listair. La nuit, elle s'entrainait à utiliser et à approfondir sa vue. Aujourd'hui encore, elle ignorait si elle avait trouvé les limites de cet étrange pouvoir...Plusieurs fois, des larmes de sang avaient coulé sur ses joues lorsqu'elle allait trop loin. Mais elle était à présent capable de voir à un kilomètre à la ronde et de voir dans le noir complet, ce qui l'aiderait pour la voie qu'elle allait suivre. Mais le plus efficace était le combat : elle parvenait à analyser les mouvements de son adversaire, à le prévoir, à le décomposer et par la même occasion, le copier ou l'esquiver. Listair, qui savait à présent ce dont Sen était capable, s'était durement entrainé de son côté à rester le plus discret possible, mais Hoan avait encore du mal à cacher ses mouvements.
Ce jour là, il faisait une chaleur cuisante à la limite du supportable. Sen, vêtue d'un short et d'un débardeur noirs, s'entrainait à la motopulse sur le terrain vague. C'était là aussi l'un de ses instants de paix et d'exaltation qu'elle aimait. Ce qu'elle préférait avant tout était de planer, haut dans le ciel, privée du bruit de l'académie, seule au milieu des nuages avec pour seule compagnie ses pensées. Elle en profitait alors pour se mettre debout sur la motopulse, agrippée au voile des ailes, et elle observait les autres districts qui flottaient là, au dessus du Voile, immensité blanche et mouvante. Elle imaginait ce que faisait sa mère là-bas, seule chez elle, ce qu'étaient devenus ses camarades de classe, et ce vieux professeur. Elle se demandait ce qu'il y avait sur les autres districts, si une autre jeune fille se posait les même questions qu'elle. Mais surtout, elle se demandait ce qu'il y avait sous le Voile. On lui avait longtemps dit qu'il était impossible de traverser la couche de nuages, que ce serait un échec, ou pire, la mort. Et pourtant, malgré les mises en garde de ses camarades et des professeurs, Sen était persuadée qu'en dessous du Voile, elle trouverai des réponses.
Sen finit par redescendre sur la terre ferme et fit encore un tour du terrain en moto, accéléra puis freina en un dérapage parfaitement contrôlé. Elle qu'elle rangeait les clés de sa motopulse dans sa poche, elle aperçut Listair, adossé au grillage, dans une posture dégagée. Sen vint à sa rencontre et ils se saluèrent.
- La cérémonie se déroulera demain, à midi. Tu devras démontrer tes capacités et choisir la voie à suivre pour les années à venir.
- Pour ma vie entière vous voulez dire, répliqua-t-elle avec un rire sarcastique.
Listair l'observa sans répondre.
- Passer sa vie à exécuter les même gestes, au même moment. Veillez au bon déroulement de la vie et à éradication des Netras...
A dire vrai, Sen parlait plus pour elle-mêle à cet instant. L'idée d'une vie passée au même endroit à faire les mêmes choses la répugnait. L'effrayait même. Sen était de ce genre de personne qui ne peuvent se passer de changements, d'aventure et de risques. Ainsi, elle se sentait vivre librement.
Elle soupira et se mit à marcher. Elle devait l'avoir dépassé de plusieurs mètres que Listair apparut à ses côtés, en silence. Sen s'était habituée aux apparitions mystérieuses dont Listair avait le secret, et de son silence énigmatique qui la surprenait toujours. Comment était-il possible de se déplacer aussi silencieusement? Et pourtant, jamais elle ne lui pose cette question, préférant laisser à son professeur sa part d'ombre et de secrets. Ce soir là, elle s'entraina avec Listair à la maitrise de l'air, dans laquelle Listair excellait. Lui aussi devoir avoir trouvé son affinité, pensa-t-elle. Elle se fit battre au bout d'une heure de combat intensif, plaquée contre terre par des serpents d'air qui enserrèrent son corps avec force. Après cet entrainement du soir, elle retourna dans ses appartements, prit une douche puis s'allongea sur son lit, pensant à sa décision du lendemain...
Le lendemain matin, Sen se réveilla alors que le soleil montrait à peine le bout de son nez, étendant son rideau de lumière sur l'obscurité de la nuit. Elle resta quelques instants à observer l'astre se lever, puis alla se préparer. De nouveau, elle s'arrêta devant son reflet une sombre pensée s'annonça à elle. Durant la Vatarstatis, quelque chose s'était révélé, l'un de ses plus anciens souvenirs, de ceux qu'elle avait inconsciemment placé dans une partie inaccessible de sa mémoire. Comment avait-elle pu ne pas s'en apercevoir? Ces yeux bridés, ce teint mat, elle ne le tenait d'aucun de ses parents...Sen ferma les yeux et sortit de la chambre. Les couloirs étaient déserts, et seulement quelques Vatars déjeunaient dans les cuisines, silencieux. Ils ne prirent pas même la peine de lever les yeux vers Sen, à son plus grand plaisir. Elle s'empara de quelques fruits et sortit à l'extérieur. Elle disposait d'environ deux heures devant elle à l'air frais, avant que la chaleur n'emplisse à nouveau l'atmosphère. Il n'y avait personne, ni sur le terrain de motopulse, ni dans la cour, ni au dojo. Elle se dirigea vers l'une des extrémités de l'enceinte et passa l'une de ses mains dans le grillage, tenant dans l'autre une pomme dans laquelle elle croqua. Son regard dériva au loin, impassible, puis elle se détourna. Plus rien ne la retenait ici. Elle avait la matinée pour dire adieu à ces lieux qu'elle avait fréquenté durant pas loin de 10 ans et, elle s'en rendait compte maintenant, dont elle ignorait encore beaucoup de choses. Plus le temps passait, plus les questions s'amoncelaient dans son esprit : ces médecins qu'elle avait vu, pourquoi s'enfermaient-ils sous terre? Comment fonctionnait exactement la Tarsis? Comment un jury pourrait-il être sûr de savoir qu'un Vatar est apte à protéger le peuple Vataran? Sen soupira et se dirigea à l'un des endroits les plus éloignés du centre, là où elle avait eu l'habitude, durant le mois, de s'entrainer avec Hoan. C'était une petite cour tapissée d'herbe, une sorte de jardin grossier et sauvage où poussaient arbustes feuillus et plantes grimpantes, s'accrochant aux grillages ou aux arbres pour ne plus les quitter. C'était ici qu'ils venaient le plus souvent s'entrainer au combat à mains nues ou se reposer après leurs exploits avec leur Annonciateur. Ils méditaient, assis sur la pelouse mal taillée et douce, les yeux clos, s'abandonnant à la nature environnante. Ce matin là, la jeune Sen fit de même, et s'agenouilla sur l'herbe encore fraiche, posa ses mains sur des cuisses et leva la tête vers le ciel qui ne cessait de s'illuminer. Elle ferma les yeux et inspira de grandes bouffées d'air. Un courant d'air frais vint l'enlacer, tourbillonna dans ses cheveux, caressa sa peau mate et enveloppa son corps tout entier avec grâce. Elle bougea les doigts, sentaient l'air contre sa paume. Soudain, l'air s'échappa et une flamme pourpre s'éleva au creux de sa main, rougeoyante et crépitante, à peine plus grosse feuille. Sen, les yeux toujours clos, la fit glisser dans son autre main, joua avec elle, la cajola avec tendresse comme si cette flamme était destinée à toujours grandir, comme le ferait un enfant. Puis elle ferma le poing. Autour d'elle, des gouttes d'eau s'élevèrent dans l'air. La rosée du matin, perle d'eau par perle d'eau, se lia et se transforma en un corps long et ondulant, qui suivait les mouvements de doigts de la jeune Vatar, tournoyant autour d'elle tel un oiseau exalté, avant de s'éparpiller sur la pelouse. Enfin, Sen se redressa et ouvrit les yeux. Elle observa avec intention le jardin et dénicha un endroit plus vide que les autre. Elle s'y approcha, fit plusieurs mouvements secs de ses poignets et un arc de cercle du pied droit. Un grondement sourd résonna et un monticule de terre s'éleva lentement, prenant peu à peu une forme étrange, d'environ un mètre de haut, au rythme des ondulations du corps de Sen. Une fois satisfaite, elle se recula et admira son œuvre : elle passa le bout des doigts sur la silhouette d'une femme portant à main levée une gigantesque flamme où étaient inscrits les symboles de l'air et de l'eau. Elle sourit, puis s'éloigna, laissant derrière elle le seul souvenir d'elle qui resterait ici.
Il était midi lorsqu'elle revint dans le Centre, où elle croisa Listair. Ils se saluèrent en silence, puis il l'emmena aux sous sols pour la Cérémonie d'Intronisation. Sen était sereine, aussi sereine qu'elle pouvait l'être, certaine de son choix et prête à démontrer son talent. Elle n'avait rien à craindre. Ils parvinrent bientôt dans une sorte d'arène, légèrement plus petite que lors de ses tests, encerclée par un public de Vatars, Annonciateurs et Jeunes. Au fond de l'arène, du côté droit, cinq vatars se tenaient et papotaient à voix basse. Le jury, songea Sen. Elle suivit Listair jusqu'à leurs places assignées et s'installa sans piper mot. Son regard s'égara dans la pièce, sa vue s'adaptant parfaitement à la lumière tamisée de la salle. Elle distingua avec un certain plaisir et étonnement l'appréhension sur certains visages, et la confiance sur d'autres. Elle aperçut Hoan, au parfait opposé de là où elle se trouvait, qui observait le sol d'un regard vague. Elle baissa les yeux, au moment même où la porte se referma avec fracas. Les cinq Vatars s'élevèrent immédiatement et entamèrent un discours que Sen n'écouta même pas. Elle savait ce qu'elle devait faire. Le jury appela un par un les jeunes Vatars qui se présentèrent et démontrèrent leurs capacités. Là encore, Sen demeura aux prises d'une semi-absence, qui s'évapora lorsqu'elle entendit le nom de son meilleur ami. Elle redressa la tête et cessa de respirer. Hoan démontra ses capacités, notamment son affinité avec l'eau qui en étonna plus d'un. Lorsqu'on lui demanda s'il possédait un don particulier, il hocha la tête. Vint enfin la question que Sen attendait tant :
- Quelle voie choisissez-vous?
- Je choisis de poursuivre les Netras.
Sous le banc, les ongles de Sen griffèrent le bois et elle baissa la tête. Listair, derrière elle, l'effleura de la main : "c'est ton tour". Sen se redressa avec lenteur et se dirigea jusqu'au centre de l'arène. Certains Vatars, dans le public, murmurèrent à sa vue.
- Senyara Mîn, âgée de 19 ans, Annonciateur répondant au nom de Listair Kelvar?
Senyara acquiesca.
- Allez y, démontrez-nous ce dont vous êtes capable.
Sen entama alors une danse endiablée et frénétiques des éléments, disparaissant sous le feu, glissant sur l'eau, chevauchant l'air et brisant la terre.
- Possédez-vous un don particulier?
Sen ne répondit pas, mais plongea son regard dans celui de l'homme qui lui parlait, à plus de dix mètres devant elle.
- La sueur coule sur votre front, vous avez peur. Y a-t-il quelqu'un ici que vous craignez? Des Netras se sont-ils infiltrés dans vos bâtiments?
L'homme se raidit à vue d'oeil, son visage pâlit. Sen montra du doigt l'homme à sa gauche.
- Vous cachez dans votre poche un poignard au manche argenté, de la très bonne qualité. Vos marques s'étalent sur tout votre corps. Et vous, votre œil droit est vert, le gauche bleu, et vous avez une tâche noire sur votre manche. Vous, vous ne cessez d'écrire sur votre feuille, de noter le moindre détail sur ceux qui vous voyez passer et qui vous montre lamentablement en cinq minutes ce qu'ils ont acquis en dix ans. Sachez pourtant que Listair ne m'a jamais invité à tricher ici, comme vous le notez maintenant. Et ces marques que vous voyez ici, dit-elle en montrant sa nuque, ne sont pas les même que les vôtres. Enfin, vous semblez bien ennuyée madame, au vu de vos soupirs incessants et de vos yeux levés vers le ciel.
Sen avait parlé avec calme, et pourtant une énergie fougueuse pouvait se lire sur son visage. Listair, assis sur les bancs, bras croisés, avait souri, pouffé même. Jamais il n'avait songé à cela de sa part.
Le jury eut besoin de quelques minutes pour se remettre du choc des révélations de cette jeune effrontée, puis la femme avait prit la parole la première.
- Vous m'avez l'air bien culottée...Cela vous servira dans le métier. Quelle voie choisissez vous?
Sen vit un sourire sur les lèvres de la Vatar. Puis elle détourna le regard et observa là où Hoan s'était tenu, et se tenait, l'observant de son regard bleu sombre.
- Je choisis la protection des civils.
Face au soleil, une svelte silhouette se dessinait, accroupie sur une barrière en métal rouillé. Elle regardait droit devant elle, vers ce ciel qui n’en finissait pas, inondé d’un éclat fiévreux. Le Voile se détachait délicatement de cet ensemble bleu et parfait, formant une couche de nuages blanche et poudreuse.
Cette silhouette était celle d’une femme, à en juger par les formes harmonieuse de son corps. Cette femme s’appelait Senyara. Ceux qui la côtoyaient avaient l’habitude de la surnommer Sen.
Les yeux clos, les jambes courbées sur la rambarde, les mains enserrées sur le barreau en fer, elle était aussi immobile qu’une statue. Le vent faible et doux qui soufflait sur le district de Ni mong jouait dans ses cheveux fins et noirs, coupés aux épaules en dégradé plongeant. Une frange tombait sur son front et chatouillait le bout de ses longs cils. Ses traits étaient gracieux et strictes à la fois, comme si ils étaient gravés dans du marbre. Sa peau matte était parcourue de symboles étranges et de signes singuliers. Ils arpentaient son bras gauche, encerclaient son cou lisse et caressait le côté gauche de son visage pour se perdre dans ses cheveux.
Cette femme était une Vatar depuis plusieurs mois, bientôt un an. Elle avait toujours rêvé de faire partie de ces personnages mystérieux et imposants, non par leur carrure mais par l’aura étrange qui émanaient d’eux. Sen avait toujours été effrayé lorsqu’elle avait l’occasion, petite, d’en croiser un, mais sa peur se transformait toujours en admiration. En effroyable admiration.
Accroupie sur la rambarde, elle se remémorait l’enfance insolite qu’elle avait eue.
Bien après la Vatarstasis, Sen apprit qu'Hoan n'avait rien eu de plus que la maitrise des éléments dont il se servait à la quasi-perfection. Il s'était découvert une affinité avec l'eau, et utilisait la plupart du temps cet élément en combat. Sen, elle, n'avait pas réussi à trouver ce lien qui l'unissait avec un élément plutôt qu'un autre. Listair lui avait dit qu'elle n'était pas encore prête, mais elle, craignait qu'il n'en existait aucun. Elle maitrisait chaque élément de la même manière, sans préférence ni affection pour l'un d'entre eux, et se devait de compter sur le même plan ses activités physiques.
Elle s'était pour cela entrainée nuit et jour. La journée, elle passait la quasi totalité de son temps pour la Maitrise des éléments, par une méditation en se levant, puis le combat en solitaire ou avec Listair. La nuit, elle s'entrainait à utiliser et à approfondir sa vue. Aujourd'hui encore, elle ignorait si elle avait trouvé les limites de cet étrange pouvoir...Plusieurs fois, des larmes de sang avaient coulé sur ses joues lorsqu'elle allait trop loin. Mais elle était à présent capable de voir à un kilomètre à la ronde et de voir dans le noir complet, ce qui l'aiderait pour la voie qu'elle allait suivre. Mais le plus efficace était le combat : elle parvenait à analyser les mouvements de son adversaire, à le prévoir, à le décomposer et par la même occasion, le copier ou l'esquiver. Listair, qui savait à présent ce dont Sen était capable, s'était durement entrainé de son côté à rester le plus discret possible, mais Hoan avait encore du mal à cacher ses mouvements.
Ce jour là, il faisait une chaleur cuisante à la limite du supportable. Sen, vêtue d'un short et d'un débardeur noirs, s'entrainait à la motopulse sur le terrain vague. C'était là aussi l'un de ses instants de paix et d'exaltation qu'elle aimait. Ce qu'elle préférait avant tout était de planer, haut dans le ciel, privée du bruit de l'académie, seule au milieu des nuages avec pour seule compagnie ses pensées. Elle en profitait alors pour se mettre debout sur la motopulse, agrippée au voile des ailes, et elle observait les autres districts qui flottaient là, au dessus du Voile, immensité blanche et mouvante. Elle imaginait ce que faisait sa mère là-bas, seule chez elle, ce qu'étaient devenus ses camarades de classe, et ce vieux professeur. Elle se demandait ce qu'il y avait sur les autres districts, si une autre jeune fille se posait les même questions qu'elle. Mais surtout, elle se demandait ce qu'il y avait sous le Voile. On lui avait longtemps dit qu'il était impossible de traverser la couche de nuages, que ce serait un échec, ou pire, la mort. Et pourtant, malgré les mises en garde de ses camarades et des professeurs, Sen était persuadée qu'en dessous du Voile, elle trouverai des réponses.
Sen finit par redescendre sur la terre ferme et fit encore un tour du terrain en moto, accéléra puis freina en un dérapage parfaitement contrôlé. Elle qu'elle rangeait les clés de sa motopulse dans sa poche, elle aperçut Listair, adossé au grillage, dans une posture dégagée. Sen vint à sa rencontre et ils se saluèrent.
- La cérémonie se déroulera demain, à midi. Tu devras démontrer tes capacités et choisir la voie à suivre pour les années à venir.
- Pour ma vie entière vous voulez dire, répliqua-t-elle avec un rire sarcastique.
Listair l'observa sans répondre.
- Passer sa vie à exécuter les même gestes, au même moment. Veillez au bon déroulement de la vie et à éradication des Netras...
A dire vrai, Sen parlait plus pour elle-mêle à cet instant. L'idée d'une vie passée au même endroit à faire les mêmes choses la répugnait. L'effrayait même. Sen était de ce genre de personne qui ne peuvent se passer de changements, d'aventure et de risques. Ainsi, elle se sentait vivre librement.
Elle soupira et se mit à marcher. Elle devait l'avoir dépassé de plusieurs mètres que Listair apparut à ses côtés, en silence. Sen s'était habituée aux apparitions mystérieuses dont Listair avait le secret, et de son silence énigmatique qui la surprenait toujours. Comment était-il possible de se déplacer aussi silencieusement? Et pourtant, jamais elle ne lui pose cette question, préférant laisser à son professeur sa part d'ombre et de secrets. Ce soir là, elle s'entraina avec Listair à la maitrise de l'air, dans laquelle Listair excellait. Lui aussi devoir avoir trouvé son affinité, pensa-t-elle. Elle se fit battre au bout d'une heure de combat intensif, plaquée contre terre par des serpents d'air qui enserrèrent son corps avec force. Après cet entrainement du soir, elle retourna dans ses appartements, prit une douche puis s'allongea sur son lit, pensant à sa décision du lendemain...
***
Le lendemain matin, Sen se réveilla alors que le soleil montrait à peine le bout de son nez, étendant son rideau de lumière sur l'obscurité de la nuit. Elle resta quelques instants à observer l'astre se lever, puis alla se préparer. De nouveau, elle s'arrêta devant son reflet une sombre pensée s'annonça à elle. Durant la Vatarstatis, quelque chose s'était révélé, l'un de ses plus anciens souvenirs, de ceux qu'elle avait inconsciemment placé dans une partie inaccessible de sa mémoire. Comment avait-elle pu ne pas s'en apercevoir? Ces yeux bridés, ce teint mat, elle ne le tenait d'aucun de ses parents...Sen ferma les yeux et sortit de la chambre. Les couloirs étaient déserts, et seulement quelques Vatars déjeunaient dans les cuisines, silencieux. Ils ne prirent pas même la peine de lever les yeux vers Sen, à son plus grand plaisir. Elle s'empara de quelques fruits et sortit à l'extérieur. Elle disposait d'environ deux heures devant elle à l'air frais, avant que la chaleur n'emplisse à nouveau l'atmosphère. Il n'y avait personne, ni sur le terrain de motopulse, ni dans la cour, ni au dojo. Elle se dirigea vers l'une des extrémités de l'enceinte et passa l'une de ses mains dans le grillage, tenant dans l'autre une pomme dans laquelle elle croqua. Son regard dériva au loin, impassible, puis elle se détourna. Plus rien ne la retenait ici. Elle avait la matinée pour dire adieu à ces lieux qu'elle avait fréquenté durant pas loin de 10 ans et, elle s'en rendait compte maintenant, dont elle ignorait encore beaucoup de choses. Plus le temps passait, plus les questions s'amoncelaient dans son esprit : ces médecins qu'elle avait vu, pourquoi s'enfermaient-ils sous terre? Comment fonctionnait exactement la Tarsis? Comment un jury pourrait-il être sûr de savoir qu'un Vatar est apte à protéger le peuple Vataran? Sen soupira et se dirigea à l'un des endroits les plus éloignés du centre, là où elle avait eu l'habitude, durant le mois, de s'entrainer avec Hoan. C'était une petite cour tapissée d'herbe, une sorte de jardin grossier et sauvage où poussaient arbustes feuillus et plantes grimpantes, s'accrochant aux grillages ou aux arbres pour ne plus les quitter. C'était ici qu'ils venaient le plus souvent s'entrainer au combat à mains nues ou se reposer après leurs exploits avec leur Annonciateur. Ils méditaient, assis sur la pelouse mal taillée et douce, les yeux clos, s'abandonnant à la nature environnante. Ce matin là, la jeune Sen fit de même, et s'agenouilla sur l'herbe encore fraiche, posa ses mains sur des cuisses et leva la tête vers le ciel qui ne cessait de s'illuminer. Elle ferma les yeux et inspira de grandes bouffées d'air. Un courant d'air frais vint l'enlacer, tourbillonna dans ses cheveux, caressa sa peau mate et enveloppa son corps tout entier avec grâce. Elle bougea les doigts, sentaient l'air contre sa paume. Soudain, l'air s'échappa et une flamme pourpre s'éleva au creux de sa main, rougeoyante et crépitante, à peine plus grosse feuille. Sen, les yeux toujours clos, la fit glisser dans son autre main, joua avec elle, la cajola avec tendresse comme si cette flamme était destinée à toujours grandir, comme le ferait un enfant. Puis elle ferma le poing. Autour d'elle, des gouttes d'eau s'élevèrent dans l'air. La rosée du matin, perle d'eau par perle d'eau, se lia et se transforma en un corps long et ondulant, qui suivait les mouvements de doigts de la jeune Vatar, tournoyant autour d'elle tel un oiseau exalté, avant de s'éparpiller sur la pelouse. Enfin, Sen se redressa et ouvrit les yeux. Elle observa avec intention le jardin et dénicha un endroit plus vide que les autre. Elle s'y approcha, fit plusieurs mouvements secs de ses poignets et un arc de cercle du pied droit. Un grondement sourd résonna et un monticule de terre s'éleva lentement, prenant peu à peu une forme étrange, d'environ un mètre de haut, au rythme des ondulations du corps de Sen. Une fois satisfaite, elle se recula et admira son œuvre : elle passa le bout des doigts sur la silhouette d'une femme portant à main levée une gigantesque flamme où étaient inscrits les symboles de l'air et de l'eau. Elle sourit, puis s'éloigna, laissant derrière elle le seul souvenir d'elle qui resterait ici.
Il était midi lorsqu'elle revint dans le Centre, où elle croisa Listair. Ils se saluèrent en silence, puis il l'emmena aux sous sols pour la Cérémonie d'Intronisation. Sen était sereine, aussi sereine qu'elle pouvait l'être, certaine de son choix et prête à démontrer son talent. Elle n'avait rien à craindre. Ils parvinrent bientôt dans une sorte d'arène, légèrement plus petite que lors de ses tests, encerclée par un public de Vatars, Annonciateurs et Jeunes. Au fond de l'arène, du côté droit, cinq vatars se tenaient et papotaient à voix basse. Le jury, songea Sen. Elle suivit Listair jusqu'à leurs places assignées et s'installa sans piper mot. Son regard s'égara dans la pièce, sa vue s'adaptant parfaitement à la lumière tamisée de la salle. Elle distingua avec un certain plaisir et étonnement l'appréhension sur certains visages, et la confiance sur d'autres. Elle aperçut Hoan, au parfait opposé de là où elle se trouvait, qui observait le sol d'un regard vague. Elle baissa les yeux, au moment même où la porte se referma avec fracas. Les cinq Vatars s'élevèrent immédiatement et entamèrent un discours que Sen n'écouta même pas. Elle savait ce qu'elle devait faire. Le jury appela un par un les jeunes Vatars qui se présentèrent et démontrèrent leurs capacités. Là encore, Sen demeura aux prises d'une semi-absence, qui s'évapora lorsqu'elle entendit le nom de son meilleur ami. Elle redressa la tête et cessa de respirer. Hoan démontra ses capacités, notamment son affinité avec l'eau qui en étonna plus d'un. Lorsqu'on lui demanda s'il possédait un don particulier, il hocha la tête. Vint enfin la question que Sen attendait tant :
- Quelle voie choisissez-vous?
- Je choisis de poursuivre les Netras.
Sous le banc, les ongles de Sen griffèrent le bois et elle baissa la tête. Listair, derrière elle, l'effleura de la main : "c'est ton tour". Sen se redressa avec lenteur et se dirigea jusqu'au centre de l'arène. Certains Vatars, dans le public, murmurèrent à sa vue.
- Senyara Mîn, âgée de 19 ans, Annonciateur répondant au nom de Listair Kelvar?
Senyara acquiesca.
- Allez y, démontrez-nous ce dont vous êtes capable.
Sen entama alors une danse endiablée et frénétiques des éléments, disparaissant sous le feu, glissant sur l'eau, chevauchant l'air et brisant la terre.
- Possédez-vous un don particulier?
Sen ne répondit pas, mais plongea son regard dans celui de l'homme qui lui parlait, à plus de dix mètres devant elle.
- La sueur coule sur votre front, vous avez peur. Y a-t-il quelqu'un ici que vous craignez? Des Netras se sont-ils infiltrés dans vos bâtiments?
L'homme se raidit à vue d'oeil, son visage pâlit. Sen montra du doigt l'homme à sa gauche.
- Vous cachez dans votre poche un poignard au manche argenté, de la très bonne qualité. Vos marques s'étalent sur tout votre corps. Et vous, votre œil droit est vert, le gauche bleu, et vous avez une tâche noire sur votre manche. Vous, vous ne cessez d'écrire sur votre feuille, de noter le moindre détail sur ceux qui vous voyez passer et qui vous montre lamentablement en cinq minutes ce qu'ils ont acquis en dix ans. Sachez pourtant que Listair ne m'a jamais invité à tricher ici, comme vous le notez maintenant. Et ces marques que vous voyez ici, dit-elle en montrant sa nuque, ne sont pas les même que les vôtres. Enfin, vous semblez bien ennuyée madame, au vu de vos soupirs incessants et de vos yeux levés vers le ciel.
Sen avait parlé avec calme, et pourtant une énergie fougueuse pouvait se lire sur son visage. Listair, assis sur les bancs, bras croisés, avait souri, pouffé même. Jamais il n'avait songé à cela de sa part.
Le jury eut besoin de quelques minutes pour se remettre du choc des révélations de cette jeune effrontée, puis la femme avait prit la parole la première.
- Vous m'avez l'air bien culottée...Cela vous servira dans le métier. Quelle voie choisissez vous?
Sen vit un sourire sur les lèvres de la Vatar. Puis elle détourna le regard et observa là où Hoan s'était tenu, et se tenait, l'observant de son regard bleu sombre.
- Je choisis la protection des civils.
Face au soleil, une svelte silhouette se dessinait, accroupie sur une barrière en métal rouillé. Elle regardait droit devant elle, vers ce ciel qui n’en finissait pas, inondé d’un éclat fiévreux. Le Voile se détachait délicatement de cet ensemble bleu et parfait, formant une couche de nuages blanche et poudreuse.
Cette silhouette était celle d’une femme, à en juger par les formes harmonieuse de son corps. Cette femme s’appelait Senyara. Ceux qui la côtoyaient avaient l’habitude de la surnommer Sen.
Les yeux clos, les jambes courbées sur la rambarde, les mains enserrées sur le barreau en fer, elle était aussi immobile qu’une statue. Le vent faible et doux qui soufflait sur le district de Ni mong jouait dans ses cheveux fins et noirs, coupés aux épaules en dégradé plongeant. Une frange tombait sur son front et chatouillait le bout de ses longs cils. Ses traits étaient gracieux et strictes à la fois, comme si ils étaient gravés dans du marbre. Sa peau matte était parcourue de symboles étranges et de signes singuliers. Ils arpentaient son bras gauche, encerclaient son cou lisse et caressait le côté gauche de son visage pour se perdre dans ses cheveux.
Cette femme était une Vatar depuis plusieurs mois, bientôt un an. Elle avait toujours rêvé de faire partie de ces personnages mystérieux et imposants, non par leur carrure mais par l’aura étrange qui émanaient d’eux. Sen avait toujours été effrayé lorsqu’elle avait l’occasion, petite, d’en croiser un, mais sa peur se transformait toujours en admiration. En effroyable admiration.
Accroupie sur la rambarde, elle se remémorait l’enfance insolite qu’elle avait eue.
FIN
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